Le cabaret de Laurent au Monument-National

 

À Montréal, le mois de juillet est synonyme depuis 1983 au Festival Juste pour rire, qui permet aux meilleurs de l’humour francophone et anglophone d’étinceler sur une scène de renom mondial. Au soir du 12 juillet, cette tradition s’est poursuivie au Monument-National avec le premier spectacle du Cabaret de Laurent prévu pour trois jours consécutifs. Ce gala animé par le comédien Laurent Paquin revient au festival pour la 16ième année de suite. Deux spectacles sont présentés par jour, à 19h00 et à 21h30. Une liste de cinq invités change à chaque spectacle, gardant le public aux aguets. Le programme de 19h00, au premier soir, était constitué de Korine Côté, Jay du Temple, Eddy King, Jess Salomon et Mike Ward.

En entrant dans la salle, le style rétro et convivial de la scène se faisait facile à remarquer. Huit colonnes d’ampoules fluorescentes montaient de l’avant de la scène jusqu’au plafond, ainsi créant en arrière-plan une constellation de lumières multicolores. Un chemin au centre était réservé aux humoristes. En ajoutant les lumières de projection, cette configuration ramenait les spectateurs aux discothèques des années 80 ou aux grands défilés de mode de New-York et de Paris. La musique de l’orchestre installée à l’arrière vivifiait chaque entrée et sortie des comédiens. Aux deux extrémités de la scène étaient posées des lampes de salon de toutes formes. En effet, les spectateurs pouvaient bien profiter de leur soirée; ils étaient chez eux.

©Edward He / Éklectik Média

Au tout début, le public a chaleureusement accueilli leur animateur Laurent Paquin sous la motion des lumières de projection et la musique mouvementée de l’orchestre. Le comédien est resté authentique à ses habitudes en brisant la glace avec son humour centré sur la sexualité. Ce sujet est beaucoup plus complexe au Québec qu’avant. Comme les identités sexuelles se sont grandement diversifiées, il faut maintenant agir avec infiniment plus de précaution. En se référant à ses souvenirs d’enfance, Laurent a avoué qu’il est difficile pour les personnes aînées de s’adapter aux caprices de l’ère moderne. En effet, il existait un temps quand le mot gay signifiait un état de jovialité auquel tous les Québécois pouvaient s’identifier. Cependant, Laurent a affirmé qu’il faut arrêter de vivre dans le passé. L’ouverture d’esprit peut être la solution à bien des problèmes. Ce comédien ne cesse d’impressionner par sa présence sur scène, son dynamisme modéré digne d’un humoriste vétéran et son style honnête.

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Korine Côté a été la deuxième sur scène. Elle s’est centrée sur l’anatomie humaine et les relations de couple. Pour elle, certaines fonctions du corps humain sont placées illogiquement, laissant place à des dégâts. Notre concepteur a clairement mal fait son travail. Ces imperfections ne laissent pas la vie facile. Son copain a commencé à ronfler cette année et le son qui en résulte fait penser à une messe noire. Aussi, le protecteur buccal qu’elle doit porter durant le sommeil pour éviter le grincement des dents l’a fait développer des « biceps de mâchoire ». Continuant sur les relations de couple, elle a parlé des séries de téléréalité comme Occupation Double et L‘amour est dans le pré. Selon elle, ces séries ont continué pendant trop longtemps et donnent la fausse impression qu’il faut être en couple pour être heureux. C’est difficile de comprendre ce que les personnages de L’amour est dans le pré essaient de dire sans sous-titres. D’où les gens en voient-ils l’attrait? Personne ne le sait. Ses blagues par rapport aux séries de téléréalité ne sont pas nouvelles, ce qui rend un peu redondant, mais le dynamisme de sa performance empreinte d’indignation ne cesse tout de même d’alléger l’atmosphère et à amuser.

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Présenté comme étant l’homme le plus laid au monde, Jay du Temple a été le troisième sur scène. L’animateur d’Occupation Double a comparé son adolescence à celle des jeunes d’aujourd’hui. Il a interagi avec un jeune spectateur nommé Christophe. À la naissance de celui-ci, en 2007, Jay avait déjà fait l’amour. Cette interaction a été la seule du spectacle, ce qui démontrait une lacune de la part des autres invités. En effet, le temps a bien changé. Durant l’adolescence de Jay, les parents ne pouvaient texter leurs enfants. C’était, selon le comédien, une époque de liberté. Les jeunes de son temps pouvaient se saouler sans trop d’inquiétude, à moins de se faire prendre par des adultes, comme c’était le cas de la première débauche de Jay. Il avait ensuite raconté l’histoire de sa première aventure, voire relation, amoureuse avec une fille nommée Cécile. Une rupture a pris place éventuellement, mais cette relation est clairement restée bien importante pour lui. Il a réussi à ramener des souvenirs de la folie adolescente et du temps écoulé chez les nostalgiques… enfin, tout le monde. Toutefois, le débit du comédien démontrait bien sa jeunesse. À certains instants, son dynamisme surchargeait l’atmosphère de la salle et nuisait à la subtilité du sentiment qu’il essayait de provoquer.

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Après ce retour aux souvenirs, Eddy King, le quatrième de la soirée, a été invité sur scène. Ce Québécois d’origine congolaise a raconté l’histoire de son voyage récent au Congo. Il n’y est pas retourné depuis vingt-cinq ans. Son cousin, paraît-il, en est devenu le président à la suite de l’élection de 2018. Personne de la famille ne l’avait pris au sérieux. Quand même, il y a des avantages à être cousin d’un chef d’État. Eddy a reçu son visa congolais par WhatsApp au lieu de se rendre à Ottawa. Par contre, il s’est fait arnaquer à la frontière quand une douanière lui a demandé de payer une seconde fois pour passer. Avec sa famille, Eddy a dû faire face à des chocs culturels. Celle-ci ne considérait pas l’humour comme une profession. Dans son pays d’origine, le comédien a fait bien des découvertes. Au Québec, il a dit qu’il se sent de gauche. Là-bas, il se sent de droite. Parce que tous les pays du monde peuvent profiter des richesses minérales du Congo à part le Congo, Eddy a envie de construire un mur au tour du pays pour éloigner les puissances étrangères. Sa performance a été une bouffée d’air frais de la soirée. Les expériences propres à la culture ont toujours moyen de charmer par le mystère de la distance. La différence culturelle est un sujet classique de l’humour et Eddy l’a parfaitement développé. En plus, il a inclus de la satire politique sans le rendre dégradant comme d’autres le font. Ceci est admirable pour notre époque dans laquelle tout doit s’opposer à l’absolu.

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La cinquième sur scène était Jess Salomon, une Montréalaise anglophone qui vit présentement à New-York. Sa partie était centrée sur les anecdotes de sa vie dans le monde anglophone. La vie de Jess a été assez particulière. Avant d’être devenue comédienne, elle a eu une carrière en tant qu’avocate de crimes de guerre à l’ONU. Un jour, elle a simplement décidé de poursuivre une voie professionnelle plus prometteuse. Une de ses anciennes collègues a fini par se marier à George Clooney, ce qui a rassuré Jess de son choix. Après tout, qui voudrait se condamner à l’inconfort de la compagnie d’un tel homme? Selon elle, la communauté anglophone du Québec est la minorité la moins opprimée du monde. Il est vrai que les lois linguistiques des années 80 ont fait quitter un bon nombre d’anglophones de la province, mais la famille de Jess avait décidé de rester. Tout semblait mieux que de vivre à Toronto. Jess fait aussi partie d’une autre minorité; elle est mariée à une musulmane à New-York. Ce point l’a permis de poursuivre sur des blagues plus sexuelles et de terminer. La qualité des performances de Jess varie selon la langue d’usage. En français, cette comédienne a l’avantage de son accent. Son débit monotone lui permet de sculpter un style pince-sans-rire qui accompagne bien le statut d’étranger auquel certains anglophones du Québec s’identifient. Toutefois, la comédienne a déjà utilisé plusieurs de ses blagues dans des contextes en anglais, ce qui mène à la redondance dès la première des recherches.

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Le dernier du spectacle a été Mike Ward. Le public l’a accueilli chaleureusement d’une foulée d’acclamations. Ce comédien s’était concentré sur sa période de dépression et sur les menaces de mort que son ami Guy Nantel avait reçues. Il y a longtemps, Mike était en Écosse pour jouer dans un festival d’humour. Il se sentait suicidaire et voulait chercher du réconfort de sa copine. Celle-ci a essayé de lui changer les idées en lui répétant de commander plus de Nescafé pour la maison. Étonnamment, c’était bien la solution puisqu’il voulait tuer quelqu’un d’autre que lui-même. Pour son ami Guy Nantel, Mike avait appris la nouvelle des menaces de mort en lisant le journal un matin dans un dépanneur. Il se disait qu’il était bien temps pour ce genre d’événements. Cependant, il ne savait pas que ces menaces étaient dirigées vers lui aussi. Guy Nantel avait eu droit à l’escouade anti-émeute à ses spectacles alors qu’il a une ceinture noire en karaté. Mike ne sait pas se battre et n’avait eu personne pour le protéger. Heureusement, rien de mal ne s’était passé. C’était une performance digne du comédien controversé qu’est Mike Ward. Au fil du temps, il a perfectionné son débit et son style d’humour noir. Il a bien réaffirmé le droit des humoristes à choquer en satirisant certains sujets, mais a tout de même maintenu la nature sérieuse de lesdits sujets. L’art de Mike Ward ne continue qu’à impressionner de plus en plus.

©Edward He / Éklectik Média

En somme, le spectacle a été fort agréable et une bonne continuation des traditions d’humour de la part de Juste pour rire. Les comédiens se sont évidemment mis au meilleur pour le public et le résultat final a été merveilleux. Cependant, certaines blagues ont été réutilisées dans d’autres contextes, ce qui mène toujours à la redondance, très dommage. À la fin du spectacle, Laurent Paquin a remercié le public et tous les invités; et a brièvement présenté l’orchestre. Les comédiens ont quitté la scène sous la même musique mouvementée qui a galvanisé leurs entrées. En effet, le temps s’écoule vite. Seulement des beaux souvenirs en demeurent.