Alain Labonté et Pénélope McQuade : rencontre au coeur du féminisme!

Amis depuis près de vingt ans, le parolier Alain Labonté et l’animatrice Pénélope McQuade nous dévoilent leurs pensées de manière épistolaire avec leur ouvrage Moi aussi j’aime les femmes.  Un échange intéressant qui rend de manière remarquable un bel hommage aux femmes de ce monde.

Hier, à la Maison du Développement Durable, lors de leur lancement, nous avons profité de l’occasion pour aller à leur rencontre.

Moi aussi j’aime les femmes est un échange d’environ 9 mois. Comment avez-vous su que c’était le bon moment pour terminer le livre ? 

Pénélope : On s’est aussi posé cette question-là parce qu’on avait établi des souhaits. Si on fait un livre sur les femmes, voici à peu près les incontournables , mais la liste n’arrêtait pas de s’allonger parce que l’actualité sur la condition féminine est tellement cloisonnante qu’il y avait toujours quelque chose qui poppait sur lequel on avait envie d’écrire. À un moment donné, c’est Alain qui a fait : Ben là je pense qu’on pourrait s’en aller vers la fin. Quand on a reçu le livre, on l’a relu et on s’est dit : Ouais, ça se lit vraiment bien, j’en aurai pris un peu plus, tsé, mais c’est vrai que c’était la fin !

Alain : Je l’ai relu avant hier et j’ai été étonné de la vitesse où je l’ai lu; ça a passé tellement vite! J’te parlerai pas de la fin parce que c’est Pénélope qu’il l’a écrite, mais je trouve tellement que l’idée est brillante de parler de la féminité à travers une personne trans. Je trouve que ça vient parler de la femme, oui, mais aussi de la trans-identité et de la communauté LGBTQ+.

Pénélope : Et de la féminité extérieure du genre féminin parce que la féminité ça ne se résume pas à une apparence physique. Ça ne se résume pas à des sentiments comme la douceur ou la compassion qui sont, oui, des attributs très féminins,  mais ça m’a vraiment obligée de me questionner sur l’essence même de la féminité, question que Alain m’a posé tôt dans le livre et que j’ai repoussé tout au long du livre parce que je ne savais pas comment répondre à cette question là et, effectivement, quand cette personne-là m’a écrit,  je me suis dit qu’elle ne mérite pas n’importe quelle réponse tsé.

Entre vos lettres, il y a parfois beaucoup d’espace, des semaines, voire des mois. Comment avez-vous fait pour vous remettre dedans et pour que ça reste fluide tout au long du livre ?

Alain :  Ben, je pense que ça s’est imposé naturellement. C’est une bonne question parce que tu peux, à un moment donné, être sur un autre rythme et quand la personne t’écrit, exemple deux mois plus tard, tu fais :  Oh attends une minute, c’était quoi avant déjà ?!

Pénélope : On s’entend que la première correspondance d’Alain, elle est du 5 janvier et je lui réponds le 25 février. Je procrastinais pour les raisons qui sont dans le livre. C’est vrai que ce n’était pas nécessairement évident pour lui d’être en attente, sans pression, mais en tout cas dans un certain momentum de commencer quelque chose. Moi, je n’étais pas prête de commencer en même temps que lui nécessairement.

Alain : On se l’était dit, de toute façon, parce qu’on est deux personnes très occupées, donc on n’avait pas la pression. Je pense que ça c’est fait naturellement puis je ne vois pas qu’il y a quelque chose de pas fini.

Pénélope : Pour moi qui n’est pas une auteure, me mettre dans un état esprit propice à la réflexion et à l’écriture, qui est un état, n’était pas si facile. Ce n’est pas un muscle que j’ai donc c’est sûr que j’aimais mieux attendre un mois puis y aller dans le bon contexte qu’écrire par rapidité pour lui répondre dans un contexte qui ne prédisposait pas.

Alain : J’aimerais ajouter qu’elle écrit très bien. Je n’ai pas la prétention de dire que j’écris comme elle et qu’on m’entend parler. Ce que j’adore de l’écriture de Pénélope, c’est que tu l’entends parler, t’as l’impression qu’elle nous raconte une histoire à l’oreille et, ça, c’est une force dans l’écriture. Ce n’est pas tout le monde qui a ça.  Puis, j’aime toujours faire des projets comme je l’ai fait avec Simon Boulerice mais, on n’a pas une plume pareil et j’aime ça parce que c’est pas du copier coller ce qu’on fait. Chacun a son style, chacun a sa plume, et c’est ça qui est agréable.

Quand on ouvre le livre, il y a plusieurs signatures d’ici et d’ailleurs. Comment vous faites la sélection des ces mots-là? 

Alain : Ben, je pense que, à la base, ce sont des gens qu’on aime. J’te dirais que dans celui-ci, en tout cas de mon côté, j’ai ouvert un espace à des organismes comme le réseau des femmes d’affaires de Rimouski où on est invité à donner une conférence en avril et la Chambre de Commerce de Drummondville, région d’où je viens. Je trouvais ça l’fun qu’un groupe signe et je trouve que ça donne un sentiment d’appartenance aussi à ces groupes-là. Derrière le signet, j’ai donné des organismes de femmes dont Les cercles de fermières du Québec que j’adore.  Donc, pour moi, ça a été dans cette ouverture là,  mais j’ai aussi demandé à des gens que j’aime comme Michel Rivard ou Michel Marc Bouchard.

Pénélope : Je voulais avoir Michelle Blanc, une femme trans. Je voulais avoir des gens issus de la diversité culturelle comme Myriam Fehmiu et Carla Beauvais. Avoir des jeunes  et des plus vieux. On voulait être très diversifié, très inclusif dans notre écriture. Tout l’esprit du livre est dans ce sens-là, et la préface des 25 signatures met bien la table pour ça, je trouve.

Est-ce que le fait qu’elles soient écrites à la main ça apporte une vérité en plus pour vous ? 

Alain : Ben, c’est sur que quand tu écris à la main c’est une part d’identité que tu offres à l’autre c’est sur et certains. Moi j’adore écrire à la main. La plupart des textes que je fais commence toujours sur du papier avec un crayon et là je fais un petit canevas et je pars de ça pour transcrire à l’ordinateur et je développe donc pour moi le geste d’écrire c’est quelque chose d’intime j’adore ça.

Pénélope : C’est quelque chose qui est une norme moins intellectualisé aussi dans le trait quand on écrit on peut revenir on peut réfléchir là il y a quelque chose de senti tsé comme Ariane Moffat qui dit Moi j’aime les femmes parce qu’elles torchent je la vois l’écrire.

Vous parlez tous les deux de votre envie de délaisser le travail pour vous rapprocher des gens que vous aimez. Est-ce que finalement ce livre n’était pas une échappatoire du travail ? 

Alain :  Vu que Pénélope et moi ça fait près de vingt ans qu’on est amis et c’est quelqu’un qui me manque dans ma vie et je me disais qu’à travers ce lieu là de la correspondance on va avoir une occasion de se retrouver et ça c’est l’fun parce que même si on se voyait pas physiquement tu sais que l’autre est là et puis oui il y a du travail mais c’est plus que ça c’est une rencontre à chaque fois

Pénélope : Oui c’était un peu comme l’école du seigneur du travail pour se retrouver à travers ça et ouais c’était un peu une façon d’échapper à la vie qui va vite et à la distance physique vraiment.

Elle se trouve où la ligne de l’intimité quand on livre ses pensées ? 

Alain : Ben, je t’avoue que je ne me suis pas censuré trop trop, et je n’ai pas l’habitude de me censurer de toute façon.

Pénélope : J’ai l’impression que, une fois que t’as ouvert les vannes, elles  ne sont pas ouvertes à moitié, tsé, surtout avec un titre aussi fort que Moi aussi j’aime les femmes. Je pense que Alain et moi, c’est dans notre personnalité de s’engager à fond. Le fait de s’écrire l’un à l’autre nous met dans une espèce de bulle où on se livre. Je fais beaucoup confiance aux gens qui vont se retrouver. Si t’as envie de te retrouver avec cet objet-là dans les mains, même si t’es pas d’accord, je pense que t’es bienveillant, je pense que t’es ouvert, je pense que t’es prêt. Donc,  je pense que je vais me sentir entre de bonnes mains littéralement. J’avais confiance au type de lecteurs ou lectrices qui allait aller vers ça. Je pouvais me déposer en toute authenticité puis raconter des pans très intimes. Le fait qu’on allait des fois dans quelque chose de l’actualité mondiale ou dans le très global au très intime, ça ne me permettait pas toujours d’être dans une intensité et d’avoir l’impression de se fouiller le nombril et de se gratter le bobo. Ça rendait l’intime pas trop impudique et pas trop narcissique non plus, car ça aurait pu être narcissique comme exercice aussi.

Alain : Quand j’écrivais à Pénélope, j’écrivais à elle. Je n’avais pas dans la tête un marché, un public cible ou que ça doit se vendre. Non. J’écrivais à ma chum , pis je pense que les gens ressentent le côté intime de nos échanges. C’est ce que j’entends des gens et, ça, je suis content parce que pour moi, c’est important.

La force de ce livre, c’est bien évidemment le féminisme et la féminité, mais vous parlez aussi énormément de la culture. Quel est votre regard sur la culture aujourd’hui ? Est-ce qu’elle vous fait peur ? 

Alain :  Quand je donne des conférences, je demande souvent aux jeunes de me nommer leurs passions dans la vie. Y’en a que c’est des joueurs de hockeys, y’en qui aiment la littérature et tout ça, et je leur dis toujours, au départ, de ne jamais abandonner ça parce que ça préserve la santé mentale, ça fait qu’on est heureux. T’es là, t’es dans le moment présent et, pour moi, la culture c’est ça aussi. J’écris, j’écris des chansons, j’aime la musique, je me sens vivant quand je suis là-dedans, c’est quelque chose d’essentiel à ma vie, et je pense que la culture est l’un des médiums qui embellit la vie.

Puis , c’est sur que moi-même qui écrit des chansons, je vois bien que les ventes de disques ou même les livres chutent. Un best-seller au Québec, c’est 3000 copies vendues,  ce n’est pas énorme, mais je pense que l’industrie se transforme et qu’on va trouver de nouvelles façon de faire des choses. Il faut être confiant, il faut être positif et, surtout, il ne faut pas arrêter de faire ce qu’on aime.

Pénélope : C’est vrai qu’on est à un point de jonction sur la culture depuis quelques années pour toutes sortes de raisons, autant à cause de YouTube que des réseaux sociaux. On a jamais senti les artistes aussi proche de nous, on peut avoir accès à leur vie privé , on peut avoir accès à tellement d’affaires. Ça enlève un peu le sacré par rapport à ce qu’ils font. Je pensais à Ariane Moffatt, par exemple, qui était en en show au MTELUS cette semaine pour sa première, et il y avait tellement de monde qui parlait. Alors, je me dis qu’il y avait comme une désacralisation de son art et, en même temps, c’est ses amis qui étaient là  et qui avaient accès à elle,  donc on oublie.

On a tellement accès gratuitement à la culture, on l’entend. C’est sûr qu’il y a un changement de paradigme profond. La culture populaire prend plus en plus de place. Il y a de moins en moins de tribunes pour les cultures plus pointues, il y a presque plus de magazines littéraires. Il n’y a pas beaucoup de magazines culturelles. On ne parle pas beaucoup de littérature, de cinéma, d’opéra, de musique classique, d’arts visuels, de danse. Les endroits de diffusion rétrécissent. Les gens ont de moins en moins d’argent à mettre sur la culture parce que Netflix coûte 12$ par mois pis parce que si, parce que ça mais, en même temps, dans chaque mouvement comme ça, il y a toujours une force qui coule, il y a toujours des mouvements parallèles qui se créent, mais c’est sûr que le fardeau sur les artistes est de plus en plus lourd. Alors, il faut  qu’on se questionne sur la place de la culture et l’importance qu’on est prêt à y accorder et à payer pour, et à faire un effort pour la consommer, la posséder à l’encourager. Il va falloir surveiller ça dans les prochaines années.

Crédit de la photo de couverture: Stéphanie Payez/Éklectik Média