Les enivrantes marées hautes d’Émile Proulx-Cloutier

Hier soir, dans le cadre d’une supplémentaire, le Théâtre Outremont accueillait pour une deuxième fois dans le mois un artiste aux multiples talents du nom d’Émile Proulx-Cloutier. Connu pour ses rôles dans divers films et séries télévisées dont La Bolduc, Boomerang et Toute la vérité, celui qui se consacre depuis plusieurs semaines à la promotion de son excellent deuxième album Marée Haute peine encore à réaliser que le public s’intéresse si passionnément à sa carrière d’auteur-compositeur-interprète. Pourtant, ce n’est point difficile d’embarquer dans son univers poétique qui allie avec une intelligence désarmante harmonies enveloppantes, textes foudroyants, humour apaisant et éclairages pertinents.

Fasciné par la langue française depuis sa tendre enfance, le comédien et cinéaste décortique les syllabes et sens de chaque mot avec une vivacité d’esprit qui pousse à l’admiration. Assumant pratiquement totalement son intérêt et talent pour les jeux de mots convenus,  il ne cherche pas à impressionner avec son débit rapide s’apparentant à du slam. Les rimes recherchées démontrant un riche vocabulaire pourraient paraître prétentieuses, mais pas lorsqu’elles proviennent de sa bouche. Lorsqu’Émile Proulx-Cloutier s’approche de son micro et fixe le public avec un regard intense, il se libère de ses démons. Il se sert de son art pour se vider le cœur et les nôtres, mettre de l’avant des réalités oubliées et injustices pas assez médiatisées. Sur scène, en tant que chanteur, il ne joue pas. Émile Proulx-Cloutier est entièrement lui-même, celui qui accepte que ses pièces conscientisent le monde au lieu de le changer. Il se dégage ainsi une rare authenticité émouvante des textes dénotant une fine observation de notre époque.

Aucun sujet n’échappe à la plume aiguisée de l’artiste. La dualité  entre le besoin amoureux et celui de solitude de La petite valise. La pression sociale qui force à vivre une existence modérée de Le pas si léger. La triste assimilation de la communauté autochtone de Maman. La détresse d’un enfant en manque d’amour de Mayday. La nostalgie et l’obligation d’être quelqu’un d’important de Retrouvailles. Toutes les thématiques dépeintes frappent en plein cœur, nous submergent et font déferler des remises en question saisissantes d’une manière aussi inoubliable que des marées hautes. Qui plus est, l’eau s’avère le fil conducteur du spectacle, tantôt en son tantôt en paroles. Il est impossible de décrocher des histoires racontées tant elles viennent réveiller en nous des émotions et vérités profondément enfouies.

Pour transporter ces morceaux à un niveau supérieur, Émile Proulx-Cloutier s’est entouré d’une brillante équipe de musiciens, à commencer par le réalisateur de Marée haute, Guido Del Fabbro, qui a notamment collaboré avec Alexandre Poulin et Pierre Lapointe. D’ailleurs, les envolées au piano rappelle le style de l’artiste derrière Deux par deux rassemblés sans l’imiter. Émile possède sa propre personnalité de pianiste. Les arrangements nous bercent à la fois doucement et puissamment. Les spectateurs qui ont écouté en boucle Marée Haute constatent avec bonheur et surprise que les titres subissent de légères modifications sur scène se traduisant par des substitutions dans les instruments et des solos prolongés et des segments a cappella. Ces choix ne déroutent aucunement car ils intensifient la portée dramatique des œuvres.

Proulx-Cloutier signe une mise en scène soignée. Le spectacle, qui pige aussi dans le répertoire de l’album Aimer les monstres paru en 2013, propose un ordre de chansons réfléchi qui fait voyager sans le moindre temps mort. On passe du rire au larme tout naturellement. L’absence de décor convient bien au style de l’artiste. Ses métaphores et sa belle folie suffisent pour créer des images claires dans la tête des spectateurs. Cette sobriété scénique contraste magnifiquement avec les jeux d’éclairage. Ceux-ci se révèlent simples mais marquants, car ils rehaussent avec pertinence et équilibre l’impact d’une note ou d’une prose sublime. 

L’acteur se déplace avec aise sur scène. Ses mouvements ne semblent pas appuyés. Tout parait fluide aux yeux du public. Afin de bien expliquer la signification des chansons et leur moteur créatif, l’auteur-compositeur-interprète accouche de savoureuses introductions sous forme d’histoires courtes qui permettent de s’ancrer davantage dans l’écriture complexe mais merveilleusement transparente de l’artiste. Conscient qu’il ne fait pas dans la dentelle et que son pessimiste peut décourager, Émile Proulx-Cloutier insuffle une bonne dose d’humour à son spectacle sans ne jamais se faire moralisateur ou condescendant. Sa plus grande volonté est que le public cesse la mascarade et les faux-semblants pour profiter d’un véritable moment de répit, et c’est mission accomplie! Pour lui, un théâtre ou une salle de spectacle s’avère l’un des seuls endroits où il est encore possible de le faire, car il procure de l’anonymat dans la plus lumineuse noirceur qui puisse exister. Sa passion évidente pour le domaine artistique devient rapidement contagieuse et drôlement inspirante.

Entouré de lumières intimistes qu’il appelle affectueusement des sentinelles, Émile Proulx-Cloutier démontre que sa route parfaitement imparfaite pour démystifier les tabous et comprendre les contradictions de la vie va bien au-delà du simple coup de cœur musical, il s’agit rien de moins qu’une nécessité dans le paysage artistique québécois.

Il retournera au Théâtre Outremont les 16 et 17 octobre prochains. D’ici là, vous pouvez consulter sa page Facebook officielle pour connaitre toutes les dates de sa tournée.

Crédits Photos : Stéphanie Payez/Éklectik Média