Jusqu’ici tout va bien de Julien Lacroix : extrêmement bien même!

Enfin! Après le film Mon ami Walid qu’il a porté à bout de bras avec Adib Alkhalidey, des web séries comme Les Prodiges et de multiples spectacles de rodage, voilà que Julien Lacroix a présenté la première médiatique de son tout premier one man show intitulé Jusqu’ici tout va bien dans un Monument-National survolté. Le récipiendaire de l’Olivier de la révélation de l’année en 2017 a en effet confirmé que son humour déjanté, moderne et un brin irrévérencieux se porte merveilleusement bien.

En guise de première partie, le sympathique Matthieu Pepper a abordé sa nouvelle vie en appartement sans coloc, les lourdes responsabilités reliées à l’âge adulte et la décision de ne pas avoir d’enfants. Les segments sur les spectacles teintés de malaise de ses jeunes nièces et faire l’épicerie chez Maxi ont particulièrement causé des maux dans les côtes. Son charisme indéniable et sa manière naturelle sans mélodrame de traiter de ses problèmes d’anxiété (et par le fait même sensibiliser subtilement) donnent cruellement hâte d’assister à un spectacle complet qui, comble de joie, est actuellement en rodage.

Lorsque Julien Lacroix a gagné en popularité en 2015 grâce à des vidéos virales mettant en scène des personnalités québécoises connues telles que Maripier Morin, Pier-Luc Funk et Yannick De Martino, on le cataloguait comme un humoriste absurde décalé et affectueusement stupide, dans la même lignée que De Martino d’ailleurs. Maintenant, avec l’ascension du cynisme, du pessimisme et la valorisation de l’ignorance qui polluent notre société, l’absurdité de son univers se perçoit davantage comme une lucidité désarmante profondément triste. En ne cherchant pas à tout prix à le faire, Julien Lacroix propose ainsi une oeuvre moderne et dénonciatrice qui demeure constamment divertissante.

Dès la désopilante vidéo d’introduction narrée par Pierre Lebeau parodiant les musicographies, le jeune homme de 26 ans a charmé le public composé de gens du milieu, de journalistes et d’admirateurs avec son sens de l’abandon et son aisance scénique tout simplement remarquables. Dissimulant sa nervosité avec talent et un habile don pour l’improvisation, il a imposé d’emblée l’intelligence de son écriture vivre et grinçante parsemée savamment de légèreté. Débutant en énumérant tous les types de personnes qu’il ne veut pas devenir, l’humoriste a instauré une dynamique entrainante de laquelle se succédaient les blagues concises diablement efficaces. Un premier spectacle solo permet généralement aux artistes d’introduire leur personnalité et parcours. Lacroix s’est démarqué de ce passage obligé en juxtaposant les numéros visant à le mieux connaître avec des vannes extraordinairement juteuses sur l’actualité. Cet équilibre entre les anecdotes personnelles et les enjeux sociaux ne pouvait être fignolé de manière plus brillante et astucieuse.

L’artiste ne mâche pas ses mots et n’a pas peur de choquer. Sur scène entouré d’une trentaine de fins faisceaux lumineux bleus, il a suscité de vives réactions et cris de satisfaction. Le contraste entre délicatesse et grossièreté impressionnait grandement. En moins d’une minute, Lacroix pouvait faire rire de bon cœur avec  son observation d’une rare véracité sur cette petite chose du quotidien qu’est la sieste de 20 minutes pas si réparatrice que ça et dérouter avec une chute abrupte abordant la pédophilie. Bien souvent, cette stratégie frappait la cible car l’humoriste a cette capacité de justifier son emploi de la vulgarité et bien définir son personnage scénique, mais, évidemment, il y a eu des dérapages.

Au-delà du fait que certaines oreilles chastes vont saigner en entendant autant de commentaires sur l’inceste, la laideur physique, la masturbation et l’homophobie, le procédé devient redondant au point qu’il s’avère plus choquant que la vulgarité en elle-même. Parallèlement, Julien Lacroix flirte bien souvent avec les insultes gratuites mais puisqu’il est lui-même capable d’autodérision, comme en témoigne le numéro complètement tordant où  il présente et commente avec honte des vidéos fashion maladroites mais adorables qu’il réalisait lors de sa préadolescence. De plus, l’humoriste a très bien interagi avec l’audience bruyante et volontaire, mais ses interventions gagneraient à être raccourcies car elles apportaient une certaine cassure dans le ton décapant. Bien que sympathique et généralement apprécié, l’acte de poser des questions sur la vie de couple des spectateurs demeure trop convenu, et Julien Lacroix est définitivement capable de trouver des transitions plus surprenantes et originales pour ses numéros.

Capable d’être tendre, de rire de lui-même et de grafigner la société avec amour, Julien Lacroix accouche d’un premier solo convaincant qui va assurément plaire à son public cible (les jeunes adultes ayant grandi avec du Mixmania…il faut aller voir le spectacle pour comprendre la référence 😉 ). La tournée bat son plein dans tout le Québec. Plus de détails ici.

Crédits Photos : Courtoisie