Quand l’amour se creuse un trou…et qu’un cinéaste ose!

En l’honneur de sa grand-mère qui lui a fait découvrir le septième art grâce au classique Harold et Maude, Ara Ball alancé hier son premier long-métrage intitulé Quand l’amour se creuse un trou. Contrairement au film de Hal Ashby qui se voulait plutôt un fantasme sur la mort, l’œuvre de Ball, qui a comme têtes d’affiche les exceptionnels France Castel et Robert Naylor, embrasse sans gêne ni complexe une relation volontairement amoureuse entre une femme septuagénaire et un adolescent rebelle. Assumant pleinement sa folie, son idéalisme et son ton décalé absolument improbable, le film pousse les cinéphiles à s’interroger sur les malaises et stéréotypes qu’ils ressentent dans une atmosphère comique et légère qui évite brillamment les lourdes morales à deux sous.

L’amour, c’est beau, mais pour les jeunes et belles personnes. Les personnes âgées peuvent encore avoir du désir, mais on ne veut pas le voir. Un homme plus vieux peut fréquenter une femme plus jeune, on est rendu habitué. Une femme qui fréquente un homme diamétralement plus jeune, c’est une cougar uniquement guidée par sa libido. Un homme plus jeune ne peut pas être heureux dans une relation avec une femme plus vieille car ça frise la pédophilie. La trame narrative imaginée par Ara Ball influence d’emblée l’auditoire à embarquer dans ces préjugés et contradictions qui font maintenant légion dans notre société. Par contre, à travers la sincérité qui berce doucement et intensément l’amour naissant entre Florence et Miron, il change tranquillement son fusil d’épaule. Est-ce que ce sera une ouverture d’esprit momentanée? N’espérons pas…

Dans la foulée du mouvement #metoo, la notion de consentement devient encore plus délicate que jamais, mais Ara Ball ne rentre pas dans le piège. Le consentement dans cette idylle est clair comme de l’eau de roche. Même si les dialogues chargés et denses par moments précipitent le lien qui unit le couple, on croit en leur amour et que, au plus profond de leur âme, il n’est aucunement malsain. France Castel et Robert Naylor plongent dans ce savoureux délire avec abandon et intelligence. Ils ont brillamment fait fi de l’écart d’âge et des inconforts que pouvaient créer le tournage des scènes intimes. Les deux personnages font face à une solitude et un mal être enfoui. Miron, obligé d’abandonner sa vie de débauches pour étudier dans une campagne éloignée, cherche un sens à l’existence et aux véritables fondements de la liberté. Veuve, Florence souhaite simplement continuer de jouir des petits bonheurs de la vie sans penser aux jugements des gens. Il y a assez d’elle qui juge durement pour ses erreurs… Les deux tourtereaux trouvent l’un dans l’autre un baume à leur solitude, et les acteurs réussissent à l’exprimer avec brio.

Appuyée par une direction de la photographie colorée et captivante, la réalisation d’Ara Ball, qui a écrit son scénario à la main, sublime la destinée du couple avec des gros plans et des jeux de lumières fabuleux. La séquence où Florence et Miron se regardent dans les yeux, baignés dans la lumière du jour, est tout simplement magnifique. Le cinéaste démontre une belle sensibilité et un lâcher prise artistique rafraîchissant. Il se moque des conventions et se permet des délirantes scènes de cauchemar qui traduisent bien la confusion que ressent Miron envers le fait d’être un simple adolescent perdu.  Bref, Ball exécute le cinéma qu’il veut faire, point. Avec ce que ça comporte de bons coups et de décisions discutables, décisions qui se pardonnent facilement tant les intentions derrière sont risquées et agrémentées d’un soupçon d’insouciance. Il filme les scènes dans lesquelles France Castel s’adonne à des séances de plaisir solitaires avec une sensualité envoûtante tandis qu’il tourne volontairement celles mettant en scène les parents de Miron (Julie LeBreton et Patrice Robitaille) avec un manque d’émotions significatif. On en vient même à regretter que ces deux personnages bénéficient de scènes sexuellement plus explicites que le couple supposément maudit.

Alors que Robert Naylor incarne avec une justesse irréprochable un adolescent curieux mais déboussolé, Julie LeBreton et Patrice Robitaille héritent des rôles plus caricaturaux. La routine a étouffé ce couple, tellement que leur complicité passée n’émeut même pas. Les clichés prennent toute la place, et on a envie de soupirer chaque fois qu’ils s’emballent dans des conversations philosophiques insipides et des chicanes superficielles. Les acteurs, habitués de se donner la réplique, effectuent tout de même un travail honnête.

En résumé, Quand l’amour se creuse un trou est une comédie audacieuse, pertinente et juste assez déroutante pour marquer positivement et donner le goût de tomber amoureux.

Ce film prend l’affiche le 15 juin 2018.

Crédits Photos : Fragments Distribution