Rocketman : l’ombre derrière les lunettes roses

Comme Rocketman, le drame autobiographique sur la vie du célèbre chanteur Elton John, débarque au cinéma à sept mois d’intervalle de Bohemian Rhapsody, film sur Freddie Mercury du groupe Queen qui a battu des records au box-office, les parallèles sont presque inévitables, mais pas justifiés. Outre le fait de dresser l’existence tourmentée de deux grandes icônes homosexuelles de la musique rock, les deux longs-métrages empruntent des trajectoires narratives et artistiques complètement différentes qui correspondent aux éclatantes personnalités distinctes des deux chanteurs, même que Rocketman s’avère plus coloré et fantasque. On peut également espérer que Taron Egerton remporte autant de prix et de reconnaissance que Rami Malek

Malgré quelques détours scénaristiques prévisibles, l’oeuvre de Dexter Fletcher (Eddie the eagle) allie harmonieusement et pertinemment le biopic et la comédie musicale.  Rocketman débute avec Elton, au plus bas dans ses dépendances, qui récite son histoire lors d’une thérapie de groupe complètement ridicule et démodée. Ce départ ennuyeux, trop typique et n’existant que comme prétexte désuet pour des retours en arrière exaspère mais, heureusement, des idées moins convenues jaillissent assez rapidement.

Le plus efficace de ces choix est sans contredit celui de faire chanter  des compositions de l’artiste au principal intéressé et son entourage alors qu’ils vivent un moment dramatique déterminant dans leur existence, ce qui permet de comprendre de manière plus poétique que ludique l’inspiration derrière des succès planétaires tels que Goodbye Yellow Brick Road et Saturday Night’s Alright for Fighting. Certains tableaux, comme celui avec Tiny Dancer, semblent toutefois forcés, mais d’autres séduisent par leurs couleurs attrayantes et leurs costumes spectaculaires. Ajoutez à cela l’abondance de drogues et d’alcool, et nous avons droit à un portrait cruel mais franc de l’homme. L’exagération, notamment dans les effets spéciaux vieillots et les prothèses faciales , est ainsi alors plus pardonnable car elle est caractéristique de l’homme aux lunettes extravagantes. Clin d’oeil à une mythique photographie prise au Troubadour, la séquence de lévitation sur scène marque l’imaginaire alors qu’elle aurait facilement pu verser dans la mièvrerie.

Celles montrant l’enfance misérable du petit Elton, qui est tristement laissé à lui-même, réussissent leur mission de frustrer et faire pleurer, même si certains dialogues s’avèrent parfois de trop tellement les acteurs sont en mesure de tout dire qu’avec un regard ou une respiration.  L’oeuvre, sans pour autant brosser une reconstitution sociale exemplaire de l’époque, s’aventure avec panache dans l’exploration de thèmes tabous comme l’homosexualité. Pour la première fois, un studio commercial d’envergure présente des scènes érotiques plus explicites plutôt que de seulement les suggérer, ce qui prouve leur bonne foi de montrer sans gêne la réalité tout ce qui a de plus normale de la communauté LGBTQ +, et on les remercie.  Rocketman aborde principalement trois thèmes marquants dans la vie d’Elton John : ses amours tumultueuses, le rejet incompréhensible de sa famille et sa passion pour la création musicale. Aucun des trois s’épanouit au détriment d’un autre. Le tout demeure fluide et divertissant, même si on n’échappe pas à certains clichés comme le gérant véreux (John Reid interprété par le magnifiquement ineffable Richard Madden). Le pan sur l’apprentissage du piano est particulièrement fascinant et attendrissant.

Si le public embarque autant dans le processus créatif et le gouffre émotif de l’artiste, c’est en grande partie grâce à l’exceptionnelle distribution qui nous apprend constamment des choses et qui demeure toujours dans un état de vérité. Taron Egerton et Jamie Bell, qui incarne Bernie Taupin, le fidèle ami et parolier d’Elton, forment un tandem charmant, drôle et inspirant. D’une ressemblance physique stupéfiante, la sensation britannique capte à merveille les contradictions d’Elton qui, en cruel manque d’amour, a eu recours à une excentricité inventée pour découvrir sa véritable vulnérabilité. À ses côtés, Bryce Dallas Howard incarne avec brio un rôle dont elle a l’habitude, soit une mère égoïste et  malheureuse qui jette ses espoirs déchus et ses déceptions sur des membres de sa famille faciles à diminuer. Campant la grand-mère, Gemma Jones, bien que plus effacée, parvient à offrir de doux moments de bonté qui tirent les larmes.

Rocketman est présentement à l’affiche.

Crédits Photos : Paramount Pictures

3.5