Scandale (Bombshell) : solidarité à distance ★★★

Les noms de Charlize Theron, Nicole Kidman et Margot Robbie en haut d’une affiche suffisent pour faire saliver n’importe quel cinéphile. Ajoutez à cela un scénario basé sur un véritable scandale sexuel et politique au sein d’un des plus gros empires médiatiques de l’Amérique, et la hâte est insoutenable. Quand se mêle à l’équation  des controverses à l’intérieur même du tournage d’un film traitant justement d’éclaboussures publiques, et bien là, c’est carrément l’extase. C’est exactement ce qui se produit avec Bombshell, à l’affiche au Québec en version française et anglaise dès aujourd’hui. Or, le résultat, bien que troublant et nécessaire, s’avère étrangement mitigé et frustrant.

Le long-métrage de Jay Roach (Trumbo, Meet the Fockers, The campaign) s’inspire librement de deux coups d’éclat majeurs  se produisant à l’intérieur des murs de la chaîne de nouvelles en continu la plus populaire en Amérique : Fox News. Le premier, c’est la  présentatrice coqueluche du réseau Megyn Kelly (Charlize Theron) qui l’a causé en 2015 en exposant en plein débat des chefs la misogynie flagrante dont fait preuve  Donald Trump via ses publications sur la plateforme Twitter. Menaces de morts et paparazzis harcelants sont ainsi devenus un calvaire quotidien pour l’avocate de formation et sa famille.

Le deuxième, encore plus imposant et troublant, est d’une gracieuseté de la courageuse et déterminée Gretchen Carlson (Nicole Kidman), une ancienne animatrice vedette de Fox New qui, en juillet 2016, a porté plainte pour inconduites sexuelles envers son patron, le manitou adulé et craint de tous, Roger Ailes (John Lithgow). Or la bombe qu’elle a larguée n’a pas crée l’effet de domino souhaité. Parmi les nombreuses victimes de l’abus de pouvoir et des gestes inappropriées d’Ailes, peu acceptaient d’êtres des alliées de Carlson, de peur de perdre leur emploi ou de salir un homme certes cruel mais qui les a tout de même aidé à bâtir une carrière prospère. C’est alors que l’influence de Kelly aura un impact crucial pour que les femmes se lèvent.

Parmi elle, mentionnons la recherchiste évangélique aux mœurs modernes Kayla Pospisil (Margot Robbie). Ce personnage fictif regroupe plusieurs histoires de victimes réelles. Cette belle et efficace façon de rendre hommage à des héros vivant dans l’ombre est de plus en plus courante. Les créateurs de l’incroyable série catastrophe Chernobyl ont utilisé la même stratégie avec la scientifique Ulana Khomyuk jouée par Emily Watson. À l’instar de cette série de HBO qui récolte les honneurs dans tous les galas où elle passe, Bombshell accumule les nominations pour son trio vedette. Des mentions totalement méritées.

Bien que plus effacée que ses comparses, la toujours excellente Nicole Kidman transmet à merveille la fureur et la fragilité de Gretchen Carlson, injustement traitée de bimbo insolente militant pour l’extrême gauche alors que sa démarche transpire l’audace et la franchise. Margot Robbie, qui recevra sans aucun doute une deuxième nomination aux Oscars, fend le cœur dans cette scène de viol déguisé en entrevue d’embauche qui donne froid dans le dos et qui fera jaser sur les réseaux sociaux au cours des prochaines semaines. Totalement métamorphosée, Charlize Theron est également en bonne position pour décrocher une deuxième statuette dorée en offrant une Megyn Kelly fonceuse et empathique aux prises avec un dilemme moral totalement déchirant : dénoncer quelqu’un pour qui elle entretient un profond respect malgré tout. Tout aussi méconnaissable, John Lithgow dresse un portrait manipulateur et légèrement caricatural de Roger Ailes mais qui ne manque pas de faire fulminer les spectateurs. Sur ce point, les costumes et les maquillages s’avèrent crédibles et attrayants. La reconstitution des célèbres locaux de Fox News est également réussie et fidèle.

Malheureusement, le scénario de Charles Randolph , qui fuse de toutes parts sans cohésion, n’attirera pas les mêmes attentions. Les éléments, qu’ils soient véridiques ou fictifs, sont précipités et bouclés trop rapidement. Le public n’a pas le temps de s’attacher aux personnages ou d’assembler les morceaux pour bien comprendre tous les enjeux derrière ce sombre récit. Les cinéphiles qui ne connaissent que des bribes de cette histoire et qui espèrent être plus informés en voyant le film risquent de se sentir assez perdus. La narration démodée prodiguée par Kelly et Carlson qui s’adressent directement à la caméra pour expliquer en détail leur environnement de travail et sa dynamique survoltée irrite au plus haut point et prend les spectateurs pour des abrutis. Heureusement que ça ne se propage pas tout au long de l’oeuvre, ça aurait été complètement insupportable.

La bande-annonce donne lieu de croire que les trois pions féminins préparent ensemble leur plan d’attaque contre Ailes, mais il n’en est rien. Elle s’unissent, mais à distance. Bombshell est donc un film choral mais qui manque d’harmonie. Le public ne ressent pas le partage et la solidarité entre ces femmes qui ont vécu des atrocités innommables. La transmission du message de solidarité entre femmes qu’on prône depuis l’ère #MeToo est ici très froid. On ressent faiblement la tension que génère l’éclatement de la nouvelle. On est trop dans la didactique superficielle et pas assez dans la brutalité des émotions. Jay Roach , qui délaisse ici les satires politiques et les comédies populaires niaises, montre une réelle volonté de raconter un sujet lourd qui le touche avec le sérieux qu’il mérite, mais sa recherche de style n’est pas encore maîtrisée, et ce même si certaines séquences réussissent à rendre extrêmement inconfortables et à faire réfléchir. Le segment sur Trump au premier acte promettait pourtant un climat chargé et une version mordante et tranchante des événements, mais le tout s’estompe bizarrement au moment où Carlson rentre en scène.

À moins de deux semaines avant le tournage, le studio finançant le projet s’est rétracté. Étant également productrice du film, Charlize Theron a réussi, en dedans de 24 heures, de convaincre Bron Studios d’être des investisseurs plus importants. Lionsgate a rapidement suivi. Ce sauvetage miraculeux n’est pas très étonnant dans les faits. Qui de censé ne voudrait pas participer à un film avec des stars aussi talentueuses vénérées autant par le public que l’industrie? D’autant plus que l’aura déchue d’Ailes fait davantage jaser depuis la diffusion sur Showtime de la  très bien reçue série The Loudest Voice de Showtime mettant en vedette Russell Crowe dans une prestation saluée. Et c’est exactement à ce niveau que Bombshell excelle, les performances. Elles justifient à elles seules le visionnement. Mais, globalement, force est de constater que les attentes probablement trop élevées ne parviennent à masquer l’odeur de pétard mouillé…

Crédits Photos : Métropole Films Distribution