The dead don’t die : la fin du monde version Jarmusch

What a f*cked up word!

Peut-on entendre proclamer un personnage d’ermite pendant The dead don’t die , traduisant ainsi efficacement l’idée maitresse derrière cette treizième oeuvre de Jim Jarmusch qui a ouvert la compétition officielle du Festival de Cannes en mai dernier. Le réalisateur et scénariste relate sa propre définition de la déchéance humaine en alliant plus ou moins harmonieusement satire, drame apocalyptique et des mises en abîme tantôt jouissives tantôt dérangeantes. Ça part dans toutes les directions, mais tous les cinéphiles habitués à l’univers de Jarmusch connaissent cette confusion absurde somme toute plaisante. Cependant, la magie n’opère pas cette fois-ci. Les éléments mis en place sur le plan cinématographique ne parviennent à mettre en lumière les pertinentes réflexions sous-jacentes à la simplicité des intrigues, et le film en souffre irrémédiablement.

En apparence, The dead don’t die est un film de zombies comme tous les autres, mais cela s’avère légèrement trompeur. Les habitants d’un village tranquille et ennuyant du nom de Centerville essaient tant bien que mal de gérer les conséquences des changements climatiques dus à l’inversement de la Terre. Éventuellement, un duo de shérifs (Bill Murray et Adam Driver) doit se rendre à l’évidence que cette crise a également perturbé les morts car ces derniers quittent le confort de leur tombe par milliers , terrifiant la ville par leur goût insatiable du sang, de la chair…et des biens matériels. Les deux policiers tenteront de limiter les dégâts, mais est-ce vraiment possible?

Outre le mélange des tons, le long-métrage de Jarmusch se démarque en proposant une raison expliquant le phénomène surnaturel et inusité. Les perturbations environnementales de l’humanité seront les conséquences inévitables de cette catastrophe, et le film aborde cette thématique avec autant de légèreté que de lourdeur sans être moralisateur. On vacille entre humour noir, moments décapants et scènes d’émotions poignantes grâce à une galerie de personnages étranges, décalés et diaboliquement savoureux.

Or, l’inégalité de leurs temps de présence et leur degré d’importance apportent son lot de longueurs. Le film ne trouve jamais son rythme, et les spectateurs se demandent constamment ce qu’ils doivent retenir à la suite d’un rire d’abord hilarant mais qui s’estompe en une fraction de seconde. Le scénario tend à montrer que nous créons notre propre fin du monde en étant cynique, contradictoire, égoïste et victime, mais les spectateurs, trop occupés à décoder les personnages, s’avèrent déçus de ces révélations et auraient souhaité quelque chose de plus consistant et surprenant au bout de cette élaboration maladroite et trop longue d’une atmosphère inquiétante.

La morosité de la ville se traduit dans la direction de la photographie lugubre qui, par le biais de couleurs ternes et sableuses, affiche bien le sentiment de solitude qui oppresse la municipalité. Jarmusch offre des plans intéressants, mais ne prend pas beaucoup de risque. Il a opté pour une certaine linéarité afin de bien montrer le quotidien sans éclat des villageois, mais un peu de caméra à  l’épaule lors des scènes d’action aurait peut-être permis au public de se sentir plus impliqué.

La distribution effectue un travail sensationnel. C’est principalement grâce à elle que le public demeure captivé. Tous les acteurs, autant les grandes stars que les étoiles montantes, s’abandonnent au délire du cinéaste avec passion et dévotion. Bill Murray, avec son calme légendaire et sa désinvolture désabusée, trouve le partenaire complémentaire idéal en la personne d’Adam Driver qui excelle tout autant dans l’ironie et la nonchalance. Leur collègue policière Chloé Sévigny hérite ici d’un sympathique contre-emploi en interprétant une femme timide et à cheval sur les règles. On est loin des psychopathes dérangées! En maquilleuse dans un salon funéraire dissimulant des talents de samouraï, Tilda Swinton est aussi précise, jubilatoire et spectaculaire que ses maniements d’épée discrets mais percutants. Caleb Landry Jones et Danny Glover proposent également un duo intergénérationnel délicieux et crédible. En revanche, Selena Gomez n’est pas en mesure de monter l’éventail de son talent d’actrice puisque son rôle ne possède pas de temps d’antenne et aucune substance intrigante.

Le film dit que le monde est étrange en os*ie, mais on serait porté à répondre à Jim Jarmusch que son film l’est aussi mais pour les mauvaises raisons et que, sans changer le ton déroutant du film , il aurait pu être innovateur.

Ce film sera à l’affiche dès le 14 juin 2019.

Crédits Photos : Focus Features