Yesterday : plus ça change…

Maintenant à l’affiche en version française et anglaise dans plusieurs villes du Québec, la comédie sur fond musical Yesterday connaîtra assurément un succès considérable au box-office, et pour cause. En cette période estivale où les cinéphiles veulent plus que jamais profiter de la fraîcheur des salles sans nécessairement surchauffer leur cerveau, cette proposition du réalisateur Danny Boyle (oscarisé pour Slumdog Millionnaire) et du scénariste Richard Curtis (Love Actually) apporte subtilement et sans lourdeur des questionnements sur l’industrie musicale d’aujourd’hui par le biais d’une douce et sympathique mais surtout stratégique nostalgie garantie d’intriguer.

En effet, la prémisse de départ comporte juste ce qu’il faut de réalisme et de fantaisie pour susciter l’intérêt d’un large public. Le long-métrage britannique suit le parcours sinueux de l’auteur-compositeur-interprète Jack Malik (Himesh Patel) nul qui, après une désastreuse participation à un festival d’été qui a complètement passée inaperçue, décide de mettre un terme à son rêve de carrière n’aboutissant nulle part. Or, pendant une panne d’électricité mondiale de douze secondes , Jack est victime d’un accident routier. À son réveil, il réalise qu’il est le seul humain à se souvenir de l’existence de certains référents culturels extrêmement populaires comme le mythique groupe Les Beatles. Essayant de comprendre pourquoi, il entreprend de faire connaître les célèbres pièces de ce band considéré comme le meilleur de tous les temps, mais sa bonne intention se heurte rapidement à son désir personnel d’être reconnu à son tour…

Une telle histoire provoque immanquablement deux réactions : séduire les irréductibles fans des Beatles simplement heureux d’entendre leurs compositions ou, au contraire, les rebuter par son caractère opportuniste. Se situant entre les deux, Yesterday parvient, lors de son premier acte, à séduire par son humour fin et vif, mais, pendant la seconde partie, le dénouement convenu d’une romance toutefois bien incarnée dilue la portée des pistes de réflexions immensément intéressantes et pertinentes mises en place. Se dégage alors la sensation que Curtis et Jack Barth,  le créateur de l’histoire, ont bêtement anticipé la lassitude du public face aux tenants et aboutissants sous-jacents de l’oeuvre et n’ont pas pu s’empêcher d’y insérer une sous-intrigue dénuée de risques. Ce choix est d’autant plus dommage puisqu’il s’agit de la seule entrave majeure du film.

Par contre, impossible de blâmer ici le duo Himesh Patel et Lily James. James crève l’écran avec son irrésistible luminosité alors que Patel capte avec justesse la dualité à laquelle est confronté son personnage. Sans déroger aux clichés d’usage, la performance de Kate McKinnon étale son efficace sens du punch. Interprétant son propre rôle, Ed Sheeran fait mouche avec sa rafraichissante et sincère autodérision. La publicité superflue  et sans profondeur sur les Beatles crainte par plusieurs ne se produit heureusement pas. La trame sonore regorgeant des succès les plus connus de Paul, John, Ringo et George fait sourire tout en contribuant pertinemment à l’atmosphère légère et accrocheuse. Autant les mélomanes que les détracteurs trouveront leur compte grâce aux interrogations que cachent ces tubes planétaires.

Que sont fondamentalement  les caractéristiques d’une bonne pièce? Est-ce que l’image d’un artiste, malgré son évidente et décriée fausseté, manipule suffisamment pour que le public aceepte aveuglément des créations médiocres? Est-ce la qualité intemporelle d’un titre qui la rend encore populaire ou c’est plutôt attribuable à la nostalgie d’une  belle époque révolue? Est-ce qu’il est préférable de plagier des oeuvres qui méritent une reconnaissance ou de rester moral et les faire sombrer dans un désolant oubli? L’objectivité des goûts étant tributaire au nombre d’humains qui a sur Terre, le film ne prétend pas offrir des réponses à un sujet qui ne fera, à tort ou à raison, jamais l’unanimité. Le mérite de Yesterday réside donc dans sa capacité de montrer naturellement en quoi la réalité de la culture musicale d’aujourd’hui devient particulièrement fascinante et triste depuis l’accessibilité fulgurante et sans effort des méthodes de consommation estompant bon gré mal gré la pureté émotive d’une chanson.

Réputé pour explorer sensiblement les mêmes enjeux sociaux de film en film mais à l’intérieur d’univers éclectiques, Danny Boyle effectue ici une mise en scène très sobre. La direction d’acteurs est irréprochable, mais, sans pour autant verser dans la réalisation stylisée d’un Trance ou dans l’inquiétude d’un 28 years later qui n’aurait pas correspondu à l’histoire, un peu plus d’audace artistique n’aurait pas été de refus. Néanmoins, cela n’empêche aucunement à Yesterday d’être le feel good movie de 2019 le plus original et réjouissant.

Crédits Photos : Universal Pictures

3.5