Bonjour, là, bonjour : l’éclat de tendres portraits dysfonctionnels

Spectateur privilégié de sa création en 1974, Claude Poissant présente jusqu’au 5 décembre la pièce Bonjour, là, bonjour au Théâtre Denise-Pelletier où il oeuvre depuis un bon nombre d’années comme directeur artistique. Il s’agit de sa première incursion professionnelle à titre de metteur en scène dans l’univers de Michel Tremblay. Pour ce baptême, l’artiste s’est entouré d’un impressionnant octuor d’acteurs (Sandrine Bisson, Mireille Brullemans,  Francis Ducharme, Annette Garant, Diane Lavallée, Mylène Mackay, Gilles Renaud et Geneviève Schmidt) qu’il fait évoluer dans un décor à la fois rétro et moderne pour mieux dégager la tolérance, la liberté et la résilience troubles qui habitent le texte.

Tremblay campe son histoire dans un Québec en pleins changements dans lequel la jeunesse souhaite ardemment s’émanciper par des révoltes maladroites. Serge (Ducharme) revient au pays après un road trip en solitaire de trois mois en Europe. Lors de sa soirée de retour, tous les membres de sa famille s’accaparent son attention. Il rend visite à son père (Renaud) de plus en plus sourd et malheureux chaque jour qu’il passe à se faire soigner par Tante Charlotte et Tante Gilberte (Garant et Lavallée)aussi malades et paumées que lui. Ensuite, Serge doit subir les foudres de sa sœur Lucienne (Bisson), riche et snob mère entretenue qui crache ses regrets, en même temps que les étreintes étouffantes de sa sœur Monique accro aux pilules (Brullemans) et celles de sa sœur Denise (Schmidt) qui s’avère cochonne autant au niveau lubrique qu’alimentaire. Et puis, il y a sa sœur Nicole (Mackay) dont il est éperdument amoureux. Au cours de cette soirée teintée de secrets, de mensonges et d’acceptation, Nicole et Serge dévoileront enfin leur vérité.

Comme dans tout ouvrage de Michel Tremblay qui se respecte, Bonjour,là,bonjour réserve bien des rires, réflexions, scandales et larmes, le tout servi dans une langue québécoise colorée et décomplexée que les acteurs se mettent en bouche avec aise. Pour illustrer l’incommunicabilité qui teinte la pièce, le dramaturge a recours à des retours en arrière entrecoupés et de conversations qui s’entremêlent. Puisque ces procédés s’enchainent avec une impressionnante fluidité, les spectateurs ne perdent jamais le fil et demeurent intrigués et captivés par le suspense que provoquent les répliques.

Pour traduire cette déconstruction narrative dans l’espace, Poissant opte pour un  fascinant mélange de textures dans les matériaux et projections utilisés dans le décor. Dans ce festival de couleurs où l’imaginaire des spectateurs est plus active que jamais, les acteurs exécutent un jeu de va-et-vient savamment calculé. Les répliques en rafale et les chœurs saisissent au cœur.

La distribution s’acquitte magnifiquement de ses tâches. Bien que peu présent, Gilles Renaud offre une performance remarquable, comme à son habitude, en retrouvant 44 ans plus tard ce père sourd qu’il a incarné à l’âge de 29 ans. Lors de la scène finale le mettant en vedette avec son fils, il arrache les larmes tant il joue à la perfection les émotions que peut ressentir un papa lorsqu’il accepte l’inacceptable par amour. Lui et Francis Ducharme partagent une belle complicité. Le duo incestueux entre Ducharme et Mackay jouit également de beaux moments, surtout lors d’un intermède artistique où les mouvements saccadés contemporains sont à l’honneur.

Annette Garant  et Diane Lavallée héritent des répliques les plus tranchantes et baveuses. Leur ton blasé et nonchalant frappe la cible. Geneviève Schmidt soutire également les rires dans un rôle qui ne l’extirpe nullement de son unidimensionnalité. Idem chez Sandrine Bisson qui, dans la peau d’une femme malheureuse qui jette sa haine envers elle-même sur les autres, apporte de belles nuances mais ne s’éloigne point de son image criarde. Son charisme scénique donne toutefois hâte à son futur projet sur les planches  en février : Le terrier chez Jean-Duceppe qui navigue dans un tout autre registre dramatique.

Bonjour, là, bonjour est présenté au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 5 décembre 2018. Les billets sont en vente ici.

Crédits Photos: Gunther Gamper