Honour : un chef-d’œuvre de l’artiste Dipti Mehta criant d’humanité !

Certains spectacles peuvent vous marquer pour toujours. Par le jeu des acteurs, la mise en scène et le sujet traité,  Honour: Confessions of a Mumbai Courtesan est de ces spectacles qui vous marquent car absolument tout dans cette création est sublime !

Le public est invité à découvrir la vie d’une modeste famille dans les quartiers particuliers de Mumbai. Une mère et sa fille tentent de survivre. La mère veut le meilleur pour son enfant. Sa fille de 16 ans rêve d’amour et de Bollywood. Mais les rêves sont-ils permis lorsque vous êtes une femme vivant dans les quartiers défavorisés de l’Inde et que votre mère est une prostituée ?


Dipti Mehta , qui signe l’écriture de ce spectacle ainsi que l’interprétation, est magistrale. Une très grande artiste qui tient le public en haleine de bout en bout. Tout au long du spectacle, elle interprète pas moins de sept personnages très différents. Son corps, sa voix, ses expressions, ses intonations, ses rythmes et son énergie se transforment avec aisance pour incarner chaque personne. Actrice hors pair, elle est également danseuse et régale le public de pas de Bharata Natyam (danse-théâtre traditionnelle indienne) et de Bollywood. Elle évolue sur scène avec grâce et gravité. Bien loin des comédiennes faire-valoir de beauté, Dipti Metha monte sur les planches parce qu’elle a des choses à raconter. Son texte est accessible, beau, doux, vrai et profond. Elle gère parfaitement ses instants de légèreté permettant au public de rire et de respirer ainsi que ses moments tragiques où elle nous délivre une vérité crue.

Une vérité qu’elle veut simple et humaine. Parce que c’est ce dont il est question. D’humanité. D’une mère et d’une fille, de leur relation, des relations entre les êtres d’une même famille, avec les amis, de leurs rêves, de leurs envies, de leurs espoirs, de leurs craintes et de leurs histoires. Avec intelligence, l’artiste nous révèle une tranche de vie dans un quartier bordel de Mumbai, sans pathos ni critiques. Ainsi, c’est une belle voix qui s’élève pour amener le public à réfléchir sur la vie des personnes marginalisées. Aucun personnage n’est stigmatisé. Au fur et à mesure de l’histoire, les histoires se dévoilent, et l’on découvre des êtres luttant pour survivre en essayant de prendre soin les uns des autres et de trouver un peu de bonheur.

L’histoire est celle de la jeune Rani qui vient de fêter ses 16 ans. Jeune demoiselle de son époque, elle rêve du grand amour. Sa mère, Chameli, a également de grands rêves pour sa fille, mais ils ne sont pas les mêmes. Son enfant ayant atteint ses 16 ans, il est temps de vendre sa virginité au plus offrant. Cette vente à prix d’or permettrait à Rani de s’élever du simple rang de prostituée à celui de courtisane. L’argent gagné mettrait toute la famille à l’abri du besoin. Alors, depuis des années, Chameli prépare sa fille et lui apprend tout ce qu’elle sait. Mère et fille se heurtent à des désirs différents, chacune essayant de convaincre l’autre ; pour Rani, qu’elle mérite le bonheur et de choisir sa vie ; pour Chameli, qu’on ne choisit pas toujours sa destinée et qu’il faut faire au mieux afin de souffrir le moins possible.

Dans cette histoire, il y a aussi l’homme de la famille, Shyam. On le qualifierait de proxénète, mais il ne l’est pas vraiment. Il y a l’amie, Meena, personnage intense qui essaye de contenter tout le monde et aussi de trouver son bonheur. Et puis un client et le prêtre pervers accordant la bonne grâce des Dieux. En toile de fond, Dipti Mehta a eu l’idée géniale de raconter une petite partie du Mahabharata avec l’histoire de la princesse Draupadi. Le mélange des deux histoires est très intelligent, bien mené, se faisant écho et jouant chacun avec des codes particuliers des arts scéniques.

La mise en scène permet à l’actrice de virevolter sur scène, de faire apparaitre les personnages à sa guise et d’enchainer pas de danse, chants et interpellations du public. Une autre des idées géniales de Dipti Mehta est d’avoir intégré un personnage qu’elle n’interprète pas, mais à qui ses personnages donnent la réplique. Ainsi, une femme américaine est présente tout au long de la pièce, comme une étrangère venant observer la vie des gens dans le quartier. Cela fait écho aux spectateurs, des personnes majoritairement de milieux aisés, qui viennent observer la vie des moins bien lotis. Elle pose ainsi la réflexion sur le regard de chacun face à la misère, la prostitution et aux histoires personnelles.

La scénographie est simple. Un lit en fond de scène, une chaise, un autel dédié à Ganesh et des saris suspendus sur des cordes un peu partout sur la scène. Simplicité et efficacité. Par ce visuel coloré et marqué, le public voyage immédiatement en Inde. Ces saris donnent également du jeu à l’artiste qui les utilise au grès de l’histoire de Draupadi. Son costume est une pure merveille ! Dipti Mehta porte une jupe longue, ample, colorée et brillante qui étincelle de mille feux lorsqu’elle danse. La musique et les textes en Hindi nous transportent directement dans le cœur de Mumbai.

Honour: Confessions of a Mumbai Courtesan est un chef d’œuvre réalisé par une grande artiste et toute une équipe investie. Merci à Dipti Mehta et au Teesri Duniya Theatre pour faire résonner une voix forte pleine de rires, d’amour, d’humour et de sincérité, en faveur des femmes et des hommes dans la souffrance. Comme le dit Rahul Varma, directeur artistique du Teesri Duniya Theatre : L’histoire d’une fillette dans un bordel de Mumbai permet de donner un visage à plus de 2.5 millions de filles victimes de traite dans l’industrie du sexe à travers le monde, incluant celles plus près de chez nous.

Crédits Photos : Courtoisie