Au-delà de la provocation
Si le titre Mon héros Oussama peut d’abord faire penser à de la provocation, c’est en effet ce qu’a cherché à créer l’auteur britannique Dennis Kelly qui a écrit la pièce en 2004, peu de temps après les événements du 11 septembre 2001 et dans un contexte d’attentats répétés à Londres à cette époque. Cependant, même si la pièce s’inscrit dans le courant du « in-yer-face », théâtre qui cherche délibérément à provoquer l’inconfort et à détruire à coup de poing nos croyances, l’équipe de création de la mouture 2019 montée au Théâtre Prospero ne cherche pas à tout prix à recréer cet effet de provocation.
Ce que le metteur en scène Reynald Robinson voudrait que les spectateurs puissent saisir de la pièce est, au contraire, un « effet d’apaisement », une sorte d’espoir en réponse au cynisme généralisé qu’il décrie. « Les personnages de cette pièce sont des êtres terrorisés », exprime-t-il. Aussi nous invite-t-il à observer l’aspect humain de ces individus dans cette terreur et à voir que leur cynisme est apporté comme réponse à cette peur omniprésente qu’ils ressentent face à leur avenir. Ainsi, sans vouloir « dynamiter » les convictions des spectateurs, Reynald Robinson annonce tout de même souhaiter débâtir, « brusquer avec suffisamment de vigueur » pour qu’il puisse être possible de comprendre que ce cynisme ambiant et généralisé cache quelque chose de plus grand derrière. Malgré le titre provocateur, les enjeux du texte dépassent donc largement ceux de la glorification d’un terroriste, glorification qui ne sert finalement que de prétexte pour parler de thèmes plus profond et sociétaux.
Une société paranoïaque
La pièce met en scène un jeun homme, Gary, 15 ans, qui cherche un modèle, des repères, un chemin à suivre. Toutes ses recherches demeurent infructueuses jusqu’à ce qu’il finisse par trouver en Oussama Ben Laden le héros auquel il veut bien s’identifier. Ce que Gary vénère de cet homme serait son intégrité, la dévotion à ses principes et son « jusqu’au-boutisme » par rapport à ses convictions. Alors que le jeune homme provoque l’émoi chez ses collègues de classe avec sa nouvelle idole, une agitation gronde dans le quartier: des poubelles sont incendiés, puis des garages… Dans la démesure de leur paranoïa, les voisins accusent de terrorisme l’individu qui a commis ces saccages. Qui de mieux pour porter le blâme que ce jeune adolescent en perte de repères qui s’est allègrement identifié à Ben Laden tout récemment?! On cherche alors à venger ces actes en faisant payer celui qu’on croit être coupable selon la loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent », le système de justice ne pouvant pas satisfaire leurs envies de justice…
Le metteur en scène rapporte que ce qui l’a frappé, à la première lecture de ce texte, est le discours de ces individus cyniques, paranoïaques et en perte de confiance dans le système, particulièrement celui de la justice. L’envie de se prononcer sur la sentence que devrait subir un tel individu pour tel acte qu’il a commis. « C’est la réalisation d’un fantasme commun », mentionne-t-il, « celui de faire subir ce qu’on a subi, de se faire justice soi-même ». Aussi, il ajoute être « heureux que des juges et un système de justice raisonnable puisse nous en empêcher »! Quand la peur prend au corps, dangereuses deviennent les convictions de ceux qui en sont victimes. Le metteur en scène souhaite donc diriger notre regard sur cet aspect de paranoïa sociale qui nous guette et qui nous amène à vouloir guérir la souffrance par la souffrance.
Une équipe prête
Le talentueux Gabriel Szabo, vu récemment dans Fanny et Alexandre et La maison aux 67 langues , répétera l’expérience d’un rôle adolescent en prêtant ses traits à ceux de Gary. Reynald Robinson se dit confiant dans le choix de son acteur, l’ayant privilégié notamment pour son côté sympathique, aspect du personnage qu’il voulait mettre de l’avant. Le metteur en scène se dit confiant et content des choix créatifs qui ont été faits. L’équipe de création se sent prête à se livrer au public pour la première qui aura lieu la semaine prochaine (mardi 2 avril). Afin d’intégrer une certaine nuance à leur jeu et de faire preuve de réalisme dans leur exécution, les acteurs ont été invités dans leur travail de préparation à se demander comment ils auraient réagi dans les circonstances des personnages. Auraient-ils voulu faire payer le prix, eux aussi? Auraient-ils cherché à se venger? Jusqu’où auraient-ils été pour satisfaire leur soif de justice? Des questions qui rendent humbles, et que les spectateurs pourront certainement se poser aussi en assistant à l’une des représentations qui se tiendront du 2 au 20 avril prochain.
Vous pouvez vous procurer des billets ici.
Crédits Photos : Théâtre Prospero