Le projet Riopelle est la pièce événement de cette saison chez Duceppe qui souligne le centenaire du célèbre peintre. Robert Lepage lui rend hommage dans un somptueux écrin, spectacle fleuve de plus de quatre heures. Un défi audacieux qui revisite les principales étapes du parcours de Jean Paul Riopelle. De son entrée à l’École du meuble au mouvement des Automatistes en passant par le manifeste du Refus global, tous ces moments-clés prennent vie sur scène.
On est d’abord éblouis par la maîtrise de la technologie où une immense toile blanche sert de support aux projections. On voyage ainsi au fil des lieux et des saisons dans des séquences d’une grande qualité visuelle. Mais c’est quand les planches s’animent et se transforment que le dépaysement est total. On se retrouve alors sur une patinoire, une plage de sable fin ou encore sous les ponts de la Seine.
Cette prouesse nous propulse dans une véritable dimension cinématographique. Et quand la technologie se confond avec l’œuvre picturale, Lepage et Riopelle se rencontrent enfin. C’est le cas quand un avion de bois survole les glaces du Grand Nord et glisse subtilement sur les toiles du Soleil de minuit (Quatuor en blanc).
Certes, les changements de décor manquent parfois de fluidité quand il s’agit de manier des structures plus imposantes, seulement le dispositif reste ingénieux. Les techniciens effectuent un travail admirable pour reconstituer les pièces d’un appartement ou d’un atelier de création. La scénographie est en cela réglée au quart de tour. On imagine toute la minutie pour la concevoir et les heures de travail pour parvenir à ce résultat. Lepage se sert de la scène comme d’une toile géante sur laquelle il crée une fresque mouvante. Sa vision inspirée se marie parfaitement avec le langage artistique de Riopelle.
Un projet immersif
La pièce couvre une cinquantaine d’années et s’attarde sur des rencontres et des lieux significatifs dans la vie du peintre québécois. Gabriel Lemire et Luc Picard se partagent le rôle-titre à des âges différents. Si chaque acteur joue bien sa partition, on peine à saisir l’homme derrière l’artiste, à s’y attacher.
Sa relation houleuse avec Joan Mitchell vient heureusement pimenter la pièce. Anne-Marie Cadieux incarnant avec justesse la bouillonnante artiste américaine. La comédienne sort de sa zone de confort dans une prestation énergique en anglais.
Le projet Riopelle est un singulier objet théâtral. À travers différents tableaux, Lepage habite l’espace, l’habille, le réinvente, et nous montre, une fois de plus, son génie créatif. La longueur de la pièce déroutera certains spectateurs qui jugeront que cette biographique aurait pu être plus courte. On se demande néanmoins si la vision du metteur en scène aurait pu se déployer avec la même grâce. La pièce immersive se vaut par sa démesure et se nourrit de formes et de couleurs éclatées, à l’image de l’œuvre de Riopelle.