Le Misanthrope ouvre la saison hivernale du TNM avec une pièce d’une étonnante actualité. Dans cette comédie dramatique, Molière n’a jamais été aussi mordant. Il y manie toujours aussi bien la rime, mais son verbe est plus affûté à chaque réplique.
Au comique de situation se substitue un humour plus incisif, voire corrosif. On rit souvent jaune de voir ces travers qui nous ressemblent. La satire s’en trouve renforcée et le message bien ancré dans notre époque.
Florent Siaud fait le choix d’une mise en scène minimaliste qui nous transporte dans un luxueux appartement. Dans ce décor immaculé, voire aseptisé, les personnages évoluent comme sur un échiquier. Entre fourberies et flatteries, chacun cherche à avancer son pion pour en tirer un quelconque avantage. À l’exception d’un marginal, perché sur un lustre en cristal, aussi fragile que sa raison.
LES UNS CONTRE LES AUTRES
Sur scène, Alceste cherche ainsi à s’isoler pour fuir l’hypocrisie du monde. Ce système où chacun feint constamment sans jamais tomber son masque. Son idéal d’authenticité se heurte alors à une société gangrénée par de faux-semblants. Son ami Philinte cherche à apaiser Alceste, mais tout l’irrite et l’ennui. À commencer par la belle Célimène, objet de son désir comme de son aversion.
Le Misanthrope voit s’opposer deux systèmes de valeur. D’un côté, une soif absolue de transparence pour s’affranchir des conventions et atteindre une plus grande sincérité. De l’autre, un système basé sur le politiquement correct dont le consensus est le seul compromis. Du moins sur le principe, puisque tous les personnages flattent et médisent en permanence.
La superficialité de ces rapports trouve pleinement écho dans notre réalité. Étonnamment, de la vie de cour aux médias sociaux, rien n’a changé. Seuls quatre siècles séparent les courtisans frivoles des tiktokeurs; les billets doux des applications de rencontres. On évolue toujours dans des cercles d’influences où chacun veut plaire ou obtenir des faveurs.
UNE FOUGEUSE DISTRIBUTION
Dans la pure tradition classique, Le Misanthrope nous fait entendre la mélodie des alexandrins. Les comédiens jouent en cela sur de subtiles nuances où chacun apporte sa couleur aussi bien dans son rôle que dans sa déclamation.
Francis Ducharme campe un ombrageux Alceste dont les tirades enflammées sont de vraies envolées lyriques où éclatent rage comme mélancolie. Après son ténébreux Néron (au TNM en 2019), il excelle encore à incarner une âme tourmentée et dépressive. Alex Bergeron a un débit plus équilibré, à l’image de Philinte, l’ami dévoué. Quant à Alice Pascal, sa diction est plus envoûtante dans une Célimène aux accents féministes. Les seconds rôles sont également servis par de talentueux comédiens comme Dany Boudreault (Oronte) et Évelyne Rompré (Arsinoé). Chacun se démarque dans cette partition musicale.
Une pièce de Molière est assurément un événement qui suscite des attentes. L’opinion se divise avant même d’assister à une représentation. Les puristes sont souvent adeptes d’une approche plus traditionnelle. Et les moins conservateurs préfèrent une adaptation plus audacieuse. Il y a forcément des surprises et quelques déceptions.
Florent Siaud bouscule les codes établis avec une vision plus frontale. Certains effets paraîtront même discutables comme la fameuse bile qui souille un espace éclatant de blancheur. Mais cette relecture contemporaine reflète des préoccupations actuelles. De la santé mentale à l’expression des désirs, voire le polyamour, Le Misanthrope touche des enjeux de notre temps. Et sur les planches du TNM, la pièce devient une comédie noire qui brille par la beauté du jeu et des alexandrins.