We Will Rock You : Galileo Figaro « pas vraiment » Magnifico

Après Mamma Mia et Motown, le juke-box musical sévit à nouveau et la victime est cette fois le groupe rock britannique Queen. Il faut garder ses attentes bien basses pour apprécier la production We Will Rock You, de passage à Montréal à la Place des Arts du 10 au 12 février. Certaines réinterprétations font grincer les dents, telles que «Somebody To Love», «Under Pressure», «No One But You (Only the Good Die Young)», «Who Wants To Live Forever» et «Bohemian Rhapsody». La faute ne repose pas sur la distribution, car tous les chanteurs sont extrêmement doués, mais plutôt dans les choix de la mise en scène de JP Thibodeau, la direction musicale de Russell Broom et la chorégraphie de boys band d’Angela Benson.

We Will Rock You, écrit par l’auteur Ben Elton (The Beautiful Game, Tonight’s the Night et Love Never Dies) a vu le jour en 2002 à Londres en Angleterre, et depuis, plus de 16 millions de spectateurs dans 19 pays y ont assisté. Au départ, deux membres de Queen, Brian May et Roger Taylor, en étaient les directeurs musicaux. Ils ont depuis cédé leurs places à Russell Broom et Stuart Morley (Tommy, Night of 1000 Voices et Love Beyond). Cette nouvelle production a débuté sa tournée en septembre dernier à Calgary.

L’histoire se déroule aux alentours de 2300, dans une société uniformisée où le conformisme règne et où l’individualité est criminelle. Nous suivons deux personnages, Galileo Figaro (Trevor Coll) et Scaramouche (Keri Kelly), qui se rebellent contre Globalsoft, une gigantesque corporation mondiale dirigée par Killer Queen (Krystle Chance). Au gré de leurs aventures, ils rencontrent un groupe de marginaux, les «bohémiens», et, ensemble, ils partent à la recherche du dernier instrument de musique pour redonner vie au rock’n’roll et, par la même occasion, à l’imagination et l’inspiration.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde un peu trop semblable à celui de Galileo où le conformisme est encouragé, même privilégié. L’industrie de la musique, ainsi que celle du cinéma, en est tout particulièrement touchée. Il est difficile de faire la différence entre un artiste et un autre. Toute la musique est semblable. Une chanson comme «Bohemian Rhapsody» ne verrait jamais le jour en 2020. Même chose au cinéma. Lorsqu’on a vu un film des studios Marvel, on les a tous vus. Et cela ne veut pas dire que ce n’est pas divertissant ! Cela veut simplement dire que l’individualité et l’originalité sont mortes et que la société est maintenant axée sur la consommation.

Des multinationales comme Disney, Apple, Amazon, Netflix et j’en passe, nous disent quoi regarder et quoi penser. Ils veulent des moutons et nous sommes trop heureux d’acheter leurs produits, car rien d’autre n’est offert. Il devient plus difficile de sortir du moule et de se faire sa propre idée, car sortir de l’ordinaire est mal vu. Il faut être comme tout le monde. Et c’est ce que We Will Rock You dénonce.

L’univers de Galileo est un monde où les télé-réalités, médias sociaux et multinationales ont tué l’imagination. Celle-ci leur est retirée dès la naissance et les gens sont encouragés à ne pas entretenir de vrais amitiés, uniquement des amis Facebook. Car l’amitié signifie le partage des opinions et des différences, ce qui n’est pas du tout rentable. Les habitants de cette dystopie, les «Ga Ga Kids», suivent aveuglément leur Killer Queen et aiment ce qu’elle leur dit d’aimer. Ils n’ont plus de noms, d’identité, juste des adresses de sites web.

Une critique sociale et culturelle au goût du jour, qui devient vite secondaire et laisse transparaître l’intention principale du spectacle, celle de capitaliser le regain de popularité de Queen après la sortie du film Bohemian Rhapsody (2018). Heureusement, la distribution est superbe, et lorsque Trevor Coll interprète «I Want To Break Free», au tout début du spectacle, on ne peut pas s’empêcher d’en avoir des frissons.

Il se fait vite voler la vedette par la dangereuse Killer Queen et son sous-fifre, Khashoggi (Kyle Gruninger). Leurs voix s’accordent à merveille et leurs performances sont parfaites, surtout celles de Kyle Gruninger avec son rire diabolique et son maniérisme alors qu’il marche les bras en l’air tels des pattes de dinosaures. Il n’a pas peur du ridicule et on ne peut pas décrocher notre regard de lui. Krystle Chance ne laisse pas sa place non plus et elle a de l’attitude à profusion. Leurs chansons deviennent nos favorites, surtout «A Kind of Magic», et il est regrettable qu’ils nous quittent tous les deux si tôt, alors qu’il reste plus d’une demi-heure au spectacle.

Si la chimie entre Killer Queen et Khashoggi est indiscutable, il n’est pas possible d’en dire autant des deux protagonistes principaux, Galileo et Scaramouche, le couple dont on est censé espérer qu’ils finissent ensemble. Keri Kelly a une voix très forte et enterre souvent celle de son partenaire, Trevor Coll, et le personnage qu’elle interprète est loin d’être un modèle féministe. Elle porte une tenue vulgaire s’apparentant beaucoup plus à de la lingerie qu’à des vêtements d’extérieur. Elle est faible, complexée et se réalise comme femme à travers l’amour. Son seul rôle est d’être l’intérêt amoureux de Galileo, et c’est vraiment dommage.

Trevor Coll est efficace dans son rôle, même s’il prend souvent un siège arrière alors que les «bohémiens» font des pitreries sur scène. Et excepté son interprétation de «Bohemian Rhapsody», qui nous fait amèrement regretter Freddy Mercury, il relève le défi haut la main. La troupe de «bohémiens» créee beaucoup de rires en révélant leurs noms : Britney Spears, Jimmy Hendrix, Ozzy Osbourne, pour n’en nommer que quelques-uns. Les nombreuses références culturelles, telles qu’American Idol, l’un des responsables de cette société fade et homogène, les paroles de plusieurs chansons populaires intégrées aux dialogues telles des œufs de Pâques et une petite visite à Graceland en l’honneur d’Elvis Presley, qu’ils appellent comiquement Pelvis, font rire le public à plusieurs reprises. Si Queen est un des enfants du rock’n’roll, Elvis en est le père. Le spectacle prend aussi le temps de souligner la mort de celui-ci ainsi que celles de plusieurs autres artistes dont Freddy Mercury, Kurt Cobain et Michael Jackson.

Les décors dépouillés de Terry Gunvordahl sont très efficaces. Trois écrans et quelques panneaux nous transportent au Hard Rock Cafe et quelques minutes plus tard dans les locaux de Globalsoft. Les costumes cyberpunk d’Angela Hale nous font parfois penser à ceux d’un space opera avec leurs perruques ridicules et les tenues hypersexualisées des actrices sont vraiment regrettables. Le plus grand bémol de cette production est la direction musicale que prend Russell Broom alors que certains morceaux tels que «Hammer To Fall» et «Headlong» prennent une teinte de musique pop.

Sur une note plus positive, les dix-sept chanteurs/acteurs sur scène sont accompagnés par cinq talentueux musiciens, la plupart du temps cachés par un écran opaque, mais on peut parfois les apercevoir secouer la tête au rythme de la musique. Un des guitaristes, Sam Coulson, a l’occasion de briller et d’impressionner la foule avec son interprétation du solo guitare de «Bohemian Rhapsody». Le public est extatique et acclame tous les artistes sur scène alors que tout le monde chante et danse sur un des plus grands classiques de Queen.

We Will Rock You reste un spectacle haut en couleur, avec une talentueuse distribution, mais qui a plus en commun avec la musique pop qu’il critique ouvertement avec l’esprit rebelle du rock’n’roll. La production manque de cœur et enchaîne les numéros chantants à toute vitesse, exploitant la nostalgie du public, et oubliant la rébellion contre Globalsoft. Le rock’n’roll est réhabilité, comme par magie, Killer Queen prend une retraite forcée et on quitte la salle avec le sentiment d’avoir un peu perdu son temps, mais avoir adoré réentendre nos chansons favorites de Queen.

À la Place des Arts de Montréal du 10 au 12 février, We Will Rock You poursuivra sa tournée nord-américaine à Québec le 14 février prochain.

Crédits Photos : Mélanie Vachon, Éklectik Média

3