Proposer une relecture d’une tragédie antique est toujours un pari risqué. Un défi pour sortir de l’ombre des versions précédentes. Cette nouvelle mouture d’Iphigénie se vaut assurément par son originalité. C’est même un ovni théâtral dans sa réappropriation du mythe.
Sur scène, la même histoire se répète depuis des millénaires. Le fameux enlèvement d’Hélène, à l’origine d’une mobilisation générale des bataillons grecs. À leur tête, Agamemnon, confronté au dilemme d’un roi et d’un père. Partir en guerre contre Troie ou condamner sa fille à mourir. Deux choix opposés, mais intimement liés. Car seul le sacrifice d’Iphigénie permettrait à la brise de se lever dans la baie d’Aulis.
Si le cadre initial reste inchangé, la vision artistique d’Isabelle Leblanc bouscule la tradition. Elle rompt avec la pompe classique à bien des niveaux. Pour le décor, les côtes grecques sont remplacées par un port hivernal prisonnier des glaces. Ce dépaysement ajoute une touche de nordicité, propre au territoire québécois. Il s’accompagne de costumes résolument modernes. Quant aux personnages, ils portent d’étranges masques/cagoules sur leurs visages.
IPHIGÉNIE 2.0
Malgré une belle distribution, cet aspect-là est assez contraignant, car on peine à savoir qui joue qui. Reconnaître chaque comédien devient alors difficile puisqu’ils sont grimés. La voix ne suffit pas à différencier Étienne Pilon (Agamemnon) d’Éric Robidoux (Ménélas), deux excellents acteurs, surtout si on est loin de la scène.
On apprécie malgré tout la synergie du groupe, grâce notamment à une subtile mise en abyme. Le spectateur a ainsi l’illusion d’assister à une répétition théâtrale, puisque Dominique Quesnel hurle des indications dans un porte-voix.
C’est toute la singularité du texte de Tiago Rodrigues. Ses personnages semblent avoir conscience d’être des maillons de la chaîne tragique. Ils ont beau résister, chercher à se rebeller, ils échouent à déjouer le destin.
L’audace créative de cette Iphigénie 2.0 ne sera pas au goût de tous. La pièce a néanmoins le mérite de sortir des sentiers battus et de nourrir la réflexion. La vierge sacrifiée restant un symbole fort de toutes les victimes collatérales de la guerre, à commencer par les femmes et les enfants.
Dans ce contexte, l’absurdité de la violence apparaît comme un cycle sans fin où les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets. Tel est le sens de la tragédie humaine, bien au-delà des planches. Monter Iphigénie s’avère ainsi d’actualité et rejoint l’engagement du Théâtre Denise Pelletier qui célèbre 60 ans de jeunesse !