Hier soir, à la Salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts, était présentée la première canadienne de l’opéra Champion du trompettiste jazz Terence Blanchard pour la musique et qui s’est associé à Michael Cristofer pour le livret. Cette oeuvre, mise en scène par James Robinson assisté de Kimberley S. Prescott, met en vedette notamment Arthur Woodley (Emile Griffith), Aubrey Allicock (jeune Emile Griffith), Catherine Daniel (Emelda Griffith sa mère), Victor Ryan Robertson (Benny “the kid” Paret/Benny Peret Jr)., Asitha Tennekoon (Luis Griffith), Chantale Nurse (Mercedes « Sadie » Donastorg, son épouse), et mon coup de coeur,Nathan Dibula (Emile enfant).
Quant à l’Orchestre de l’Opéra de Montréal, il était sous la direction de George Manahan. Les chorégraphies ont été montées par Sean Curran assisté de Maverick Lemons. Les fabuleux décors étaient signés Allen Moyer alors que les costumes sont dus aux mains habiles de James Schuette. Les effets spéciaux vidéographiques ont été créés par Greg Emetaz. Le Montreal Jubilation Gospel Choir a partagé le plateau avec le Choeur de l’Opéra de Montréal.
Emile Griffith est un boxeur des Îles Vierges américaines né le 3 février 1938 à Saint-Thomas et mort le 23 juillet 2013 à Hampstead (état de New York), exactement un mois et huit jours après la première mondiale de l’opéra, le 15 juin 2013 à Saint-Louis.
Il est arrivé à New York à la fin des années 1950. Il y retrouve sa mère qui ne sait pas lequel il est de ses sept enfants qu’elle a abandonnés. Il rencontre Howie Albert qui lui propose de le prendre sous son aile comme entraîneur de boxe. Sa mère, pour des fins pécuniaires, l’encourage fortement à suivre cette voie. Son parcours en dit long sur sa carrière de boxeur: 112 combats, 85 victoires, 23 victoires par KO, 24 défaites, 2 matchs nuls, 1 sans décision, champion du monde poids welters (1961, 1962-1963, 1963-1965) et champion du monde poids moyen (1966-1967, 1967-1968).
Il va sans dire que le combat le plus marquant de sa carrière fut celui du 24 mars 1962 contre Benny “The Kid” Paret. C’était leur troisième rencontre, laquelle avait été précédée d’un échange virulent lors de la pesée. Paret avait nargué Emile Griffith en le traitant de maricon, terme espagnol pour désigner péjorativement un homosexuel. Il a une mise au point avec son entraîneur Howie. Emile se questionne à savoir ce qu’est être un homme. Après un combat mortel lors duquel il assène à Paret plus de 17 coups , Emile ne sera plus jamais le même. Le remord et la solitude s’installent. Il décide finalement de tourner la page, de renier son identité sexuelle et épouse Sadie malgré toutes les oppositions auxquelles il doit faire face. Après son mariage au début des années 70, les défaites s’accumulent et sa démence commence à prendre forme. Il fait la connaissance de Luis qui devient son amant, mais qu’il adopte comme son fils plus tard. Finalement, il rencontre Benny Paret Jr à qui il demande de lui pardonner, ce que Benny accepte de faire.
Cet opéra en jazz avec ses connotations de be-bop, de blues et de gospel nous permet de goûter à un mélange des plus éclectiques très mélodieux aux oreilles. Reste à savoir quels airs deviendront les airs fétiches de cet opéra. Personnellement, trois arias m’ont touchée, soit le dernier duo avec sa mère qui, malgré la cruauté du vocabulaire par moment, n’en était pas moins attendrissant, le duo avec Sadie lorsqu’elle lui demande de revenir à la maison et, surtout, le duo final avec Benny Paret Jr qui lui accorde son pardon. Ce passage me donne encore des frissons et me ramène les larmes aux yeux.
En ce qui concerne la représentation même de l’opéra, c’est un succès assuré. Une mise en scène pour laquelle le concept de la passerelle a été réutilisé. Cette fois-ci, elle sert de chambre à Emile d’où il suit et revit les principaux événements de sa vie, lesquels se déroulent plus bas. Arthur Woodley fait un Emile Griffith comme personne d’autre n’aurait pu le faire. Il a le physique de l’emploi et, avec sa voix de basse, il nous fait vraiment vivre les différentes émotions qu’Emile Griffith a connues. Quant aux deux femmes de sa vie, Catherine Daniel et Chantale Nurse , ce sont deux voix magnifiques qui interprètent, chacune à leur façon, les rôles qui leur ont été confiés d’une façon professionnelle, personnelle et surtout avec beaucoup d’émotions. Mon coup de cœur, cependant, va à Nathan Dibula dans le rôle d’Emile enfant. Il est tout simplement adorable et tout autant talentueux. Quel début pour lui!
En somme, un spectacle qui promet et que tout bon amateur d’opéra ne voudra pas manquer, surtout que la prestation d’hier a valu à toute l’équipe une longue ovation debout bien méritée. Nous avons aussi pu noter la présence du compositeur de Champion ,le trompettiste jazz Terence Blanchard. Il a de quoi être fier de son œuvre.
Pour terminer, voici une petite réflexion d’Emile Griffith qui fait l’objet d’un clin d’œil dans le texte de Michael Cristofer :«J’ai tué un homme, et le monde me pardonne. J’aime un homme, et le monde veut me tuer ».
Champion est à l’affiche jusqu’au 2 février 2019. Des billets sont encore disponibles. Vous pouvez vous en procurer ici.
Crédits Photos : Yves Renaud