Depuis la première présentation à Londres de Conscent en 2017, Nina Raine a été qualifiée de prophète par de nombreux observateurs pour avoir écrit un texte traitant du sujet du viol avant les premières manifestations de #metoo et sans que celui-ci ne soit retouché après le début du mouvement. Bien que pertinentes au sujet de #metoo en ce que la pièce met en scène, entre autre une femme victime de viol (Marie Bernier) qui se voit malheureusement oubliée dans les méandres de la loi au procès de son agresseur, les assises du texte ne reposent pas essentiellement sur ce thème.
À travers le drame ordinaire de deux couples, leurs trahisons, leurs douleurs et leurs infidélités qui effritent leur quotidien, c’est plus largement l’idée de l’opposition entre la loi, froide et rationnelle, et la justice, vengeresse et instinctive, qui est explorée. Edward (David Savard) et Jake (Patrice Robitaille), deux amis et avocats de la défense, parlent de la cause de leurs violeurs respectifs de façon sarcastique et impassible alors que Kitty (Anne-Élizabeth Bossé) et, à moindre force, Rachel (Véronique Côté) semblent rappeler, qu’au-delà du procès, c’est la vie des victimes dont il est question. « Mon violeur a mieux performé que ta victime », lance Edward à Tim (Mani Soleymanlou), procureur ayant perdu sa cause, illustrant tout le détachement avec lequel il traite la situation. Graduellement, le débat s’immisce dans l’intimité de la vie des couples alors que Kitty accuse Edward d’un viol conjugal. Est-ce une vengeance, dans un désir de justice, ou est-ce un viol au sens de la loi?
Du fait que le thème central ne porte pas spécifiquement sur les agressions sexuelles qui servent plutôt de véhicule pour porter d’autres questions, le choix scénographique, dans la deuxième partie, d’une gigantesque murale aux effigies du mouvement #metoo accompagnée d’extraits audio de femmes qui prennent la parole dans ce contexte semble la marque d’un grand manque de subtilité et d’une surenchère inutile. Autrement laissé dans le flou artistique d’une scénographie sobre et mouvante, le spectateur, qui se laissait jusqu’alors porter par ses réflexions, se sent brusquement coupé de toute latitude d’interprétations. À cela s’ajoute le choix d’utiliser les « noirs » entre chaque scène qui demandent des modifications de l’espace, ce qui limite la fluidité et donne une impression d’amateurisme. De ces aspects de la mise en scène, rien n’émerveille véritablement; heureusement, l’espace bien dégagé fait que la scénographie laisse toute la place à la dramaturgie.
Truffé de petits trésors, le texte de Nina Raine la couronne dignement reine des dialogues cinglants et percutants. L’œuvre, astucieuse, nous laisse avec plus de questions que de réponses, utilise habilement les renversements de rôles et les mises en abîmes, et place le public dans le rôle de jury qui assiste aux débats et aux prises de position des protagonistes pour se faire sa propre opinion des faits. Comme des contrepoids, légèreté et profondeur se balancent, appuyées par la comédie et le tragique qui se font véritablement valser tout du long des deux heures de la représentation.
Les acteurs ont la chance d’avoir pu se mettre en bouche des dialogues aussi savoureux auxquels ils donnent corps aisément, sans toutefois être constants sur toute la ligne. La première partie peut parfois donner l’impression d’un jeu fade très minimaliste et intimiste dont le but est probablement de laisser l’espace aux répliques. Dans la seconde partie, cependant, ce jeu particulier fait plutôt place à un jeu plus émotionnel et théâtral, contrastant avec le début de la pièce. Certes, l’avancée du texte correspond à l’avancée des souffrances, mais le contraste dépasse l’ascension normale des tensions dramatiques. On se demande s’il s’agit d’un choix de la mise en scène ou si cela fait plutôt référence à des acteurs fatigués qui se seraient réveillés dans la seconde moitié de la représentation. Il faut quand même souligner le comique naturel de Patrice Robitaille et son aisance à s’approprier les répliques cinglantes. Soulignons également la performance de Marie Bernier, véritablement touchante, qui nous donne la composition d’une victime dont la rage n’est contenue que par la balance de désespoir qui l’habite.
Frédéric Blanchette semble voué un amour véritable aux dramaturges anglais réalistes. Après avoir monté du Pinter, dont Trahison l’an dernier qui recelait une scénographie bien pensée, et un autre texte de Raine, Tribus, en 2014 à La Licorne qui avait reçu un bon accueil, il ne réussit malheureusement pas à amener Consentement au rendez-vous des attentes que le projet a engendré.
Crédits Photos : Caroline Laberge