En 2014, Serge Denoncourt a entamé sa collaboration théâtrale avec Juste Pour Rire en mettant en scène Cyrano de Bergerac. Cette année, pour sa sixième production avec le Festival, il renoue avec l’univers d’Edmond Rostand , mais cette fois-ci avec la pièce Edmond d’Alexis Michalik qui explore les coulisses de la création du célèbre chef-d’oeuvre. Présenté à Paris à guichets fermés depuis sa création et récipiendaire de 5 Molières, ce morceau d’histoire romancé combine humour et amour du théâtre. Grand amateur du théâtre dans le théâtre, Denoncourt en signe ici une adaptation hilarante, touchante et grandiose portée par des comédiens pourvus d’une passion irrésistible.
Edmond se déroule à Paris en décembre 1897. Paumé et atteint du syndrome de la page blanche depuis plus de deux ans, Edmond Rostand (François-Xavier Dufour), alors âgé de 30 ans, a trois semaines pour écrire une comédie en vers au grand homme de théâtre qu’est Constant Coquelin (Normand Lévesque). N’ayant que le titre en tête, soit Cyrano de Bergerac, Edmond se heurte à des embûches de taille comme les petits caprices des acteurs et la présence accrue des hommes finançant le spectacle. Par contre, au bout du compte, tout cela finit par inspirer l’auteur qui réussira à mettre au monde une pièce qui recevra pas moins de quarante rappels lors de sa création au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
En accordant une place de taille aux répétitions, aux doutes des artistes, aux imprévus , aux séances d’écriture d’Edmond de même qu’à sa vie personnelle, l’oeuvre de Michalik exploite la notion du théâtre avec un grand T. Le dramaturge s’amuse avec les clichés reliés à cet art, n’ayant pas peur d’exagérer certaines mises en situations pour soutirer des rires. Aidé par un décor sublime et ingénieux, Denoncourt rythme sans aucun temps mort ces scènes avec des déplacements dynamiques et des clins d’œil sympathiques à la culture théâtrale.
Le processus créatif d’Edmond Rostand demeure toujours fascinant et pertinent grâce au texte qui recèle de subtilités véridiques et inspirantes sur les bases mêmes de l’écriture. Ces perles viennent principalement du personnage d’Honoré, tenancier du café dans lequel Edmond se réfugie régulièrement pour créer joué avec conviction et tendresse par Widemir Normil. D’ailleurs, la distribution, qui compte 12 acteurs devant se partager et défendre 60 personnages, s’avère le point fort de ce spectacle. Tous démontrent leur dévouement intarissable face à leur métier, et c’est tout simplement contagieux et irrésistible pour le public qui ne peut détacher son regard de la scène. Ils s’amusent follement, n’ayant pas peur du ridicule et de l’autodérision.
Dans cette ambiance festive François-Xavier Dufour se démarque forcément. Il incarne avec authenticité un créateur prêt à tout pour accoucher d’une oeuvre dont il sera fier et qui comblera l’auditoire. Sa vulnérabilité, ses tiraillements moraux et sa passion pour les mots donnent des frissons. Interprétant sa femme Rosemonde, Émilie Bibeau s’acquitte efficacement de sa tâche mais force est de constater que les récents rôles qu’elle propose sur les planches sortent du même moule, ce qui rend son jeu un peu trop prévisible. Que ce soit en Georges Feydeau ou en balayeur, Daniel Parent fait crouler la salle de rire avec ses multiples voix et sa capacité de s’abandonner totalement sur scène. Kim Despatis, que l’on peut voir dans le rôle de Donatienne dans la série Les pays d’en haut, s’en donne à cœur joie dans le rôle de la grande actrice égocentrique et névrosée qu’on se plait à détester. En Coquelin, Normand Lévesque flirte délicieusement avec la caricature puisqu’il joue à fond la carte de la naïveté et de la désinvolture.
On peut donc dire pari réussi pour cette production de plus de 135 minutes sans entracte qui parvient à faire rire franchement et toucher par son amour sincère et profond à cet art où , grâce à des efforts acharnés et une imagination sans borne, tout devient possible.
Edmond, présentée au TNM jusqu’au 28 août.
Crédits Photos : Yves Renaud