Quelques heures avant l’unique représentation du spectacle OSM et les Grandes Interprètes (notre critique ici) dans le cadre de la cinquantième édition du Festival international de la chanson de Granby , nous avons rencontré trois chanteuses participant au spectacle, Marie-Denise Pelletier, Émie Champagne et Joanie Roussel, ainsi que la metteure en scène Monique Giroux pour une entrevue conviviale au cours de laquelle nous avons parlé de la création de cet événement exceptionnel, la longévité du Festival ainsi que la place des interprètes dans le paysage musical actuel.
Comment on vous a approchées pour faire partie du spectacle?
Joanie Roussel : En fait, j’ai reçu un courriel l’année passée qui disait : Bonjour Joanie, est-ce que tu serais intéressée à venir chanter avec l’OSM car, pour le cinquantième, on veut réunir les grandes interprètes qui ont foulé le Théâtre Palace depuis 50 ans? J’ai dit non (rires). Je me suis assise parce que c’est un grand rêve pour moi de chanter avec l’OSM , c’est dans mon top de choses que je veux faire! J’ai pleuré et j’ai dit oui tout de suite.
Comment justifiez-vous la longévité qu’a le FICG?
Marie-Denise Pelletier : C’est parce qu’il y a tout le temps du talent qui est là! C’est sûr qu’il y a eu une organisation qui s’est tenue debout pendant toutes ces années-là. Il y a eu plusieurs directeurs. Le Québec est une terre fertile pour les voix et pour les auteurs-compositeurs, donc c’est sur qu’il faut se renouveler d’une année à l’autre. Ce n’est pas le talent qui manque au Québec, ça c’est clair. Je pense qu’il y a toujours cette volonté à Granby de vouloir continuer. Il y a eu des années plus difficiles, mais là, c’est plus fort que jamais. Il fallait aussi rivaliser avec la venue des nouvelles tribunes à la télé, mais, finalement, ils ont gardé le cap et la notoriété de Granby n’a jamais pâli.
Monique Giroux : Ils se sont beaucoup renouvelés en ouvrant aussi beaucoup à la francophonie. Il y a beaucoup d’Européens qui viennent, des diffuseurs, des journalistes, des producteurs et, ça, ça a été un gros travail en amont très important! Maintenant, Granby est connu dans le métier en France, en Suisse, en Belgique chez les diffuseurs et organisateurs de festivals. Ces gens-là viennent, ils sont invités ici pendant une semaine. Quand tu restes une semaine à Granby, excuse-moi, mais t’es à Granby! Quand tu viens à Montréal, tu peux t’épivarder. C’est drôle, mais je le dis dans mon introduction du spectacle, les chanteuses qui sont ici ce soir ont fait Granby. C’est très étonnant comme expression quand on y pense, hein?! On dit : Hey Marie-Denise, t’as fait Granby. Faire Granby, tsé! Faire la ville! Le Festival fait la ville!
Marie-Denise : On a souvent pensé que je venais de Granby (rires)! Ça a été mon premier vrai concours que j’ai gagné, et je me suis faite demandée combien de fois: Ah oui, tu viens de Granby toi? À l’époque, je me souviens , j’avais fait la rencontre de Mouf qui faisait la mise en scène. C’est le contact avec les professionnels. C’est vraiment une école.
Joanie : On parlait de notoriété tout à l’heure. Ça fait 3 ans que je l’ai fait et Émie 2 ans, et malgré les concours télévisés dont on a fait partie les deux, Granby était LE concours à atteindre. C’était le summum des concours à faire. Quand tu te rends en finale à Granby, t’as comme une espèce de wow, d’ouverture dans l’industrie, ce que je crois que les shows télé ne font pas. Il y a une ouverture au niveau du public mais au niveau de l’industrie aussi .
Monique : C’est parce que, excuse-moi, mais quand tu gagnes un concours à la télé, y’a pas un autre producteur que celui de l’émission de télé.
Émie : C’est sûr aussi qu’à Granby, on est tellement encadré et formé deux semaines alors que, dans une émission de télévision, tu rentres là, t’en ressors et ça se terminé là. Ici, on a un bagage, on a des rencontres. On apprend comment ça fonctionne. Il y a des choses que j’ai appris dont je n’avais aucune idée que ça existait comme pisteur radio, je n’avais aucune idée de ce que c’était.
Marie-Denise : Je dois vous dire que j’ai fait Granby deux ans. Y’a pas grand monde qui le savent, mais, en 81, j’ai fait les quarts de finale, et j’ai été éliminée. Première crise existentielle! Je me disais que je devais tout lâcher. On m’a dit que je n’étais pas prête. Donc, je me suis préparée. En 82, il faisait un temps comme aujourd’hui. C’était plus tard dans l’automne, et je me souviens qu’il y avait des nuages et que je m’étais faite une prière. Je m’étais dit: « Moi, je voudrais bien gagner ce soir mais, avant tout, je voudrais faire ça toute ma vie. » Là, je me retrouve 35 après. Gagner, c’est une chose mais faire ça toute sa vie … Je pense que je suis une meilleure interprète et meilleure chanteuse 35 ans plus tard, et c’est ce que je déplore aussi aujourd’hui avec tous ces concours-là. C’est du consommer et jeter. On devient meilleur être humain à plein de niveaux, pas juste comme chanteuse mais comme être humain, pis, ça, ça prend du temps. Alors, c’est ce que je souhaite à tout ceux qui ont gagné récemment : d’être là encore après plusieurs années. C’est peut-être pour ça que Granby existe!
Comment s’est déroulée la sélection des chansons?
Monique: L’esprit a été de saluer les 50 ans des dernières années de la chanson et que chacune des filles qui a des succès en interprète un. On voulait aussi des chansons du répertoire et souligner les 40 ans de Starmania. Quatre des sept interprètes ont joué dans Starmania, 1 Stella Spotlight et 3 Marie-Jeanne. C’est difficile de passer à côté! En plus, Luc (Plamondon) s’est beaucoup inspiré de Granby pour venir choisir et rencontrer ses interprètes. Jean Leloup, qui avait gagné ici, a été un Ziggy de Starmania. Donc voilà, on fait un salut à Starmania parce que ça s’imposait, et c’est très émouvant de les voir toutes (Fabienne, Marie-Denise, Isabelle et Luce).
Qu’est-ce que ça signifie être une grande interprète en 2018?
Émie : Je pense pas que ça a vraiment changé. Être une interprète, c’est quelque chose qui se vit. C’est pas quelque chose qui s’apprend nécessairement. Comme a dit Marie-Denise, c’est avec le temps et en vieillissant qu’on devient toujours meilleur, mais c’est nécessairement à cause des expériences qu’on apprend. C’est pas la poudre aux yeux de la télévision, c’est de chanter avec son cœur et avec humilité, surtout parce qu’on est des êtres humains comme les autres.
Marie-Denise : Ce que je disais tantôt à Luce. Le répertoire forge la voix très souvent mais forge aussi l’être humain. Les chansons que tu choisis, tu les choisis parce qu’elles viennent te chercher, parce qu’elles te disent de quoi. C’est comme un rendez-vous amoureux avec quelqu’un quand une interprète rencontre sa chanson. On dit, des fois, que quand la chanson a rencontré son interprète, il y a comme une espèce de feu d’artifice. Ça, ça arrive pas tout le temps dans une carrière, il y a peut-être dix tounes qui ont eu une rencontre magique avec des interprètes et, ça, c’est rare. Ce sont les chansons auxquelles tu t’attaques , que tu vas choisir et tout ce qui vient avec qui vont faire que tu vas grandir ta voix.
Joanie : J’ose le dire, on a tassé un peu l’importance des interprètes depuis des années en mettant les auteurs-compositeurs de l’avant. J’ai rien contre, ils font un travail exceptionnel, et il y a des auteurs extraordinaire qui sont ressorti ces dernières années, ça a même pas de sens! Mais, en tassant les interprètes, on a oublié c’était quoi, pis je crois que, comme a dit Émie, être interprète, c’est un art autant qu’écrire et composer est un art. C’est un art de prendre un texte, de le travailler, de lui ouvrir son cœur, de rentrer dedans, de le pleurer et de tout faire pour que le public puisse vivre cette émotion-là avec toi. Il faut que les jeunes chanteuses, les jeunes interprètes comprennent ça et reviennent là surtout parce que c’est ça qui est important!
Crédit de la photo de couverture : Bertrand Duhamel