La machine Turing amorce en force la saison 2024 du Théâtre du Rideau Vert. La pièce rend hommage au célèbre mathématicien britannique, connu pour avoir brisé le code de la machine allemande Enigma pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sur scène, Alan se rend dans un commissariat pour signaler un cambriolage. Mais le mobile du vol est pour le moins opaque et son témoignage incohérent. L’inspecteur Ross soupçonne alors Turing de cacher certains secrets.
La pièce prend ainsi des allures de polar à travers le portrait fragmenté du cryptologue. Elle s’intéresse autant à l’homme qu’au génie. Turing devient d’ailleurs le narrateur de sa propre histoire. Il prend le spectateur à témoin lui donnant même le rôle de confident.
UN HÉROS HUMAIN
Après sa prestation remarquée dans L’homme éléphant (en 2018), Benoît McGinnis incarne encore un rôle à la mesure de son talent. Le comédien épouse toute la complexité de Turing, génie scientifique aux traits autistiques. Bégayer ses répliques ajoute un défi supplémentaire à son interprétation exigeante. McGinnis est un véritable caméléon qui excelle à jouer des personnages à fleur de peau. Son Turing est tour à tour drôle et fragile, grave et candide. Face à lui, Étienne Pilon (Mickael Ross) et Jean-Moïse Martin (Hugh Alexander) sont convaincants dans un registre plus classique.
La scénographie de la pièce est inventive avec de subtiles projections qui servent de repères à une chronologie morcelée entre les années 40 et 50. Elles se composent de courtes archives tout en nous plongeant dans un monde d’algorithmes. La projection des rouages de Christopher en impose dans un décor modulable assez sobre.
UNE PIÈCE ENGAGÉE
La machine de Turing commémore un chapitre important de notre Histoire. Elle honore un héros de l’ombre qui a scellé le sort de la guerre, sauvant la vie de millions de personnes. Et à l’heure de l’avènement de l’intelligence artificielle, il reste encore un pionnier en la matière.
Le texte de Benoit Solès dépasse pourtant le simple biopic, car il explore la figure du savant dans son parcours intime. Turing a beau être brillant, il reste marginal vis-à-vis des valeurs de son époque. Il sera même traité en paria et condamné pour « perversion sexuelle », à cause de son homosexualité. Il faudra attendre 2013 pour qu’un acte royal annule cette condamnation discriminatoire et le réhabilite à titre posthume.
L’adaptation théâtrale offre en cela une réflexion sociale sur les persécutions subies par un des pères fondateurs de l’informatique. Revenir sur le destin de Turing participe ainsi à un devoir de mémoire essentiel dans la lutte des droits LGBTQIA2S+. Une pièce à voir pour sa dimension humaine autant que sa valeur testimoniale.
Merci pour cette critique, ça donne envie!