Avant l’archipel : Quelque chose de plus grand que soi

Lénaïque la Magnifique (Danielle Le Saux-Farmer), dont les pleurs de solitude arrosent les fruits dragons humanoïdes qui poussent sur sa péninsule, se rend au marché des continents pour les vendre. Brévalaire Spectaculaire (André Robillard), tisseur de tuques truffées d’allégorie, s’y trouve aussi. Quelque part au marché, entre les cactus popsicle, les moustaches de cumin et les barbelés de barbe, les deux âmes esseulées se rencontrent et c’est alors que commence leur idylle amoureuse dans laquelle on compte les heures qui nous séparent et dans laquelle on organise des fêtes avec les oiseaux et les constellations. Ce bonheur nouveau a cependant pour funeste effet de dessécher les arbres de Lénaïque qui s’abreuvaient de ses pleurs. Endeuillée de ses beaux fruits, elle pleure et pleure tant qu’elle finit par noyer la partie de sa péninsule qui était reliée au continent, la privant du contact de son amoureux.

Le mythe de cet amour au destin tragique nous est raconté dans un texte fabuleux qui nous plonge dans un univers original alliant habillement le conte, la poésie, le théâtre, la musique et l’improvisation. Dans ce splendide divertissement pour ados et adultes, les mots font pétiller les oreilles en voguant gracieusement entre littéraire et familier. La musique réchauffe l’âme alors que le ukulélé de Brévalaire Spectaculaire s’harmonise parfaitement avec sa voix et celle de sa comparse, Lémaïque la Magnifique. Une poésie émouvante nous amène sur des chemins insoupçonnés prenant des détours vagabonds qui se frayent un chemin jusqu’à notre cœur.

Complice des acteurs par les demandes d’interactions, le public devient le troisième personnage de cette pièce, interprétant tantôt les oiseaux et les constellations, tantôt autres personnages nécessaires tout au long de l’histoire. Convaincant même les plus farouches spectateurs, c’est un Brévalaire sincère, touchant et bouffon qui nous amène au cœur de son univers, sollicitant notre collaboration pour le créer, et amenant, du coup, un sentiment de convivialité et d’intimité entre les spectateurs. On a envie de connaitre son voisin et, quand  la magie opère, on a le sentiment de faire partie de quelque chose de plus grand que soi.

Comme si tout ne s’était passé que dans le temps d’un grand mouvement de respiration, les ampoules s’allument progressivement sur la genèse de l’amour entre Lénaïque et Brévallaire et s’éteignent comme il meurt à petit feu… On devine que le temps, les oiseaux et les constellations auront été les seuls témoins de leur amour fougueux et passionné qui repose désormais en paix sur cet archipel de tristesse. Les interprètes sont tous deux adroits dans leur jeux, incroyablement attachants et légers. Ils sont soutenus par une mise en scène de Joël Beddows, maestro de l’ombre qui pose son regard délicat sur l’œuvre et qui rend l’ensemble savoureusement merveilleux.

On passe donc du rire aux larmes, du comique au tragique, de la chaleur des festivités à la froideur de la mort, nous laissant sur l’impression que toute une vie vient de défiler devant nos yeux en l’espace d’une toute petite heure. Notre enfant intérieur est ébloui par l’heureuse symbiose de la simplicité et du merveilleux. Heureux de s’être fait raconter une histoire, il peut dormir en paix et rêver à ces pays en forme d’étoiles.

Crédits Photos : Marianne Duval