Même si son travail en tant que réalisateur a été primé aux Oscars deux fois (les acclamés Brokeback Mountain et The life of Pi), on ne peut pas dire que Ang Lee a eu de la chance avec ses films plus commerciaux. Ils ont été soit des échecs critiques et commerciaux (Billy Lynn’s Long Halftime Walk) ou des succès au box-office mais pas bien reçus dans l’opinion publique (Hulk). Malheureusement, ce n’est pas avec Gemini Man, à l’affiche dès aujourd’hui, que le Taiwanais redorera son blouson dans ce domaine. Bien qu’innovateur à certains égards, ce suspense à saveur philosophique, en plus de subir une désavantageuse date de sortie (Le Joker de Joaquin Phoenix n’a pas fini de faire des ravages), contient trop d’écueils majeurs pour s’élever au-dessus de la horde des films d’action de série B.
Après avoir succédé à Robin Williams dans le mythique rôle du génie dans la nouvelle mouture d’Aladdin de Disney, Will Smith retourne aux personnages plus froids et mystérieux en incarnant Henry Brogan, un tireur d’élite émérite qui, rongé par l’imposant nombre de morts qu’il a sur la conscience peu importe leur justification, profite de l’excuse de la vieillesse de son corps pour prendre sa retraite. Malheureusement, les choses prendront une tournure différente lorsque l’agent Clay Verris (Clive Owen) tente de l’éliminer en envoyant à ses trousses une recue redoutable qui possède les traits physiques et aptitudes que Henry possédait lors de sa vingtaine. Le chemin de ce dernier croisera alors celui de Danny Zakarweski (Mary Elizabeth Winstead), une innocente étudiante en biologie marine, qui sera bien malgré à elle mêlée à toute cette histoire.
La thématique du clonage dans les films d’action ne date pas d’hier, mais la variante que propose Gemini Man regorge de potentiel. En mettant en opposition un héros et son clone cherchant à le détruire, l’oeuvre se penche sur des enjeux existentiels intéressants et prenants. Les spectateurs saisissent rapidement que le synopsis de Gemini Man s’avère être une métaphore sur les batailles que mènent quotidiennement les gens pour vivre en paix avec leurs forces, faiblesses et regrets. Le personnage principal n’est pas unidimensionnel ; il a une conscience sociale lui permettant de constater que son maniement de la gâchette ne rend pas plus noble et légale sa profession. Malheureusement, au lieu de se concentrer sur comment Henri traverse cette réalité, le long-métrage emprunte une trame narrative assez convenue : se sauver la peau de méchants aux idéologies relativement logiques mais considérées insensées pour mieux servir le scénario.
Les réflexions identitaires perdent trop souvent leur sens dans les explosions et les combats. Bien qu’efficace à certains moments, l’humour léger dilue la crédibilité des thématiques abordées en s’attardant plutôt à dépeindre leur aspect artificiel, donnant ainsi la triste et décourageante impression que les auteurs ne les assument pas entièrement. Même si la psychologie des personnages manque de développement, Will Smith effectue un travail honnête et engageant. Appuyé par une impressionnante et déroutante technologie permettant de le rajeunir avec brio, l’acteur se fond dans les deux personnages, leur insufflant juste ce qu’il faut de ressemblance pour créer un attachement chez le spectateur. De son côté, Mary Elizabeth Winstead, bien que sous-utilisée, apporte une belle fraîcheur, son énergie vive s’harmonisant parfaitement à celle plus ténébreuse de Smith. Dommage que Clive Owen doit défendre mettre un vilain ennuyant et banal qui aurait tellement pu être polarisant et complexe.
Certaines scènes d’action dénotent une audace et un désir de surprendre les cinéphiles avec des chorégraphies de grande qualité et des poursuites inspirées. Or, la mécanique du scénario et la trame sonore assourdissante viennent assombrir ces beaux efforts, enlevant la moindre parcelle d’émotions. Au-delà du talent des cascadeurs, le rendement purement technique des effets spéciaux déçoit compte tenu du budget considérable du film. On a parfois l’impression de visionner un film de Steven Seagal ou de Jean-Claude Van Damme des années 90!
La balance entre les moments explosifs et les dilemmes moraux des protagonistes se dessine sans grande fluidité, créant ainsi des longueurs qui risquent de freiner les spectateurs convaincus d’assister à un divertissement haletant saupoudré d’une morale intelligente. Or, cette dernière n’est pas assez mis de l’avant de manière réaliste pour s’avérer marquante.
Crédits Photos : Paramount Pictures