Le loup : les regrets lâches ‎★‎★‎★‎★

Après les impériales Coco et Sissi, la plume franche et incisive de Nathalie Doummar délaisse les tourments existentiels des jeunes adultes pour jeter son venin sur un vieux couple amer confronté à ses quatre vérités à l’approche de la fin.

Le loup est présentée au sous-sol du Théâtre Jean Duceppe dans le cadre d’un 5 à 7 inspiré du concept écossais A Play, A Pie and A Pint qui consiste à présenter une pièce en un acte tout en offrant une collation et un breuvage aux convives! Le concept et les têtes d’affiche (Maude Guérin et Luc Senay) ont visiblement semblé interpeller le public puisque les représentations prévues jusqu’au 27 mars se dérouleront à guichets fermés! Certains sièges ont cependant été ajoutés ainsi que des supplémentaires du 25 novembre au 18 décembre ont été annoncées. Ce beau succès démontre qu’il est possible de rendre le théâtre accessible et attrayant!

Qui plus est, les spectateurs ne seront pas déçus de leur investissement. En 50 minutes, il se produit plus de rebondissements spectaculaires, de moments amusants et de déchirements bouleversants que dans bien des pièces du répertoire classique. Sombrant de plus en plus dans la démence, Donald (Senay) profite d’un rare instant de lucidité pour confesser ses réels sentiments et expliquer ses vils agissements envers sa femme Solange (Guérin) qui, comme arme de défense, accueille ces révélations dans un état de déni et continue de prétendre être la seule chose qui la tient à l’abri de la rage : une épouse modèle entièrement au service de son mari.

L’écriture de Doummar passe du rire aux larmes avec une fluidité remarquable et une cohérence irréprochable. L’intérêt de l’audience est constamment sollicité, mais l’autrice a également prévu suffisamment d’espace dans ses dialogues pour que les spectateurs dressent des parallèles tantôt heureux tantôt dévastateurs sur leur propre vie de couple. Le loup traite également efficacement des constats aussi sincères qu’égoïstes sur nos comportements malsains et nos erreurs qu’on assume que lorsqu’il est trop tard avec un soupçon de lâcheté.

Illustrant les années sans amour et les tensions refoulées qui hantent Solange et Donald, le décor multiplie le hall d’entrée de la maison et signifie ainsi cette lourdeur silencieuse extrêmement pesante qui s’accumule dans un ménage routinier et morne mais qui finit par être étrangement réconfortant. Le texte fait subtilement étalage de ce quotidien fade auquel on se résigne avec une abondance de mots tendres comme Mon loup livrés machinalement et qui masquent la vérité. Il n’y a aucune doute ; Nathalie Doummar continue de prouver pourquoi elle est l’une des plus prometteuses et pertinentes dramaturge de sa génération.

Chloé Robichaud ( les films Sarah préfère la course et Pays) signe une mise en scène épurée qui mise sur la richesse psychologique des personnages. À travers des déplacements si naturels qu’ils semblent improvisés, Maude Guérin et Luc Senay  jouissent d’une liberté de création inouïe et utilisent ce terrain de jeu avec spontanéité et abandon.  Ceux qu’on peut avoir incarner des connaissances dans la télésérie 5e rang dévoilent ici une chimie époustouflante caractéristique de deux acteurs au sommet de leur art. Grâce à la direction sobre de Robichaud, ils s’envoient la balle avec un talent renversant et une parfaite analyse des émotions.

Luc Senay jongle magnifiquement avec les manipulations et doutes reliés à la maladie de l’Alzheimer. En dedans de la même minute, il provoque l’hilarité, la pitié et la frustration. Il faut dire qu’il est sublimement épaulé par Maude Guérin qui effectue un autre tour de force. La grandiose comédienne saisit brillamment toutes les contradictions et paradoxes de son personnage et les interprète avec une vérité sidérante. Au-delà de la livraison infiniment juste des répliques, elle exprime tous les non-dits et la peine de son personnage à travers ses yeux. Elle bouleverse grâce à un regard ou un mouvement banal comme s’assoir qui devient alors lourd de sens. L’explosion tant souhaitée de son personnage  en fin de parcours ne laisse personne indemne et happe en plein cœur.

L’intimité de la salle contribue à renforcer cette sensation de profonde tristesse et d’injustice d’un couple qui, au fond, a commis les mauvais choix pour de terribles raisons principalement dictées par la peur et le manque d’estime de soi.

Une oeuvre à ne pas manquer sous aucun prétexte!

Crédits Photos : Caroline Laberge