Madra et Alex sont deux jeunes parents qui ont ensemble un fils de 3 ans, Gabriel. Alors que le couple rentre d’une sortie en amoureux, la grand-mère de Gabriel qui en assurait la garde leur laisse inopinément savoir qu’elle a confié brièvement leur enfant à un inconnu dans un centre d’achat. Choqué par l’événement, le couple, rempli de doutes sur les intentions de l’inconnu en question, remet en cause le jugement et l’instinct de la grand-mère. Mais alors que le père de Gabriel réussit à pardonner à sa mère, Madra sombre plutôt dans des inquiétudes et des angoisses qui la consument petit à petit jusqu’à la folie.
Madra porte donc sur cette paranoïa générale dans laquelle nous sommes plongés par rapport aux inconnus en ce qui concerne l’éducation des enfants. À force de vouloir prévenir l’imprévisible et empêcher l’inévitable, la mère de Gabriel se plonge dans une anxiété débordante et un profond repli sur soi. Afin de le protéger, elle souhaite créer une bulle pour elle et son fils qui, finalement, prend davantage l’allure d’une prison, ce que semble évoquer la scénographie à structures métalliques pivotantes faites de barreaux servant également à illustrer différents lieux.
Absolument crédibles, les personnages de cette pièce, tout comme les relations qu’ils entretiennent entre eux, nous font tout de suite penser à : « je reconnais ce couple d’amis-là avec leur enfant! ». Adroitement dirigée par Marie-Hélène Gendreau dans un jeu réaliste qui s’accole bien aux répliques elles-mêmes très réalistes, Sylvie De Morais-Nogueira est particulièrement convaincante comme jeune maman surprotectrice. Elle se plonge aisément dans la folie de « Mady », dont le nom est symboliquement bien choisi par l’autrice, Frances Poet. Louise Bombardier amène une touche de lumière et une belle naïveté avec la grand-maman qu’elle incarne.
Le texte offre une belle montée dramatique, aucun élément ne manque pour suivre le fil qui mène Mady jusqu’au point de rupture où elle se rend. Bien que la pièce soit un drame et qu’elle fasse vivre des moments d’une grave intensité, la joie et l’humour agréable dont elle est ponctuée servent à relâcher les tensions, offrant un bel équilibre. Le choix d’une trame sonore de type suspense est bien marqué comme choix de mise en scène, mais n’ajoute pas grand-chose au texte qui ne semble pas s’inscrire naturellement dans la catégorie du thriller. Sans être dans l’attente angoissée que quelque chose va se produire, le spectateur est plutôt plongé avec intérêt dans l’histoire affective de ce couple qu’un événement banal vient profondément chambouler.
La pièce pose une question importante: est-ce que cette peur des inconnus, cette paranoïa, peut devenir plus destructrice que la réalité? Sans laisser de flou, le texte répond de façon franche à cette question. Alors que Madra glisse de plus en plus dans la réalisation du fantasme de reprendre son fils dans son ventre pour le protéger du monde extérieur, c’est elle qui en vient à commettre un geste reprochable et qui met en danger la sécurité de son enfant… La scène où elle apprend à son conjoint ce qu’elle a fait à Gabriel (très forte par ailleurs) nous renseigne sur la destructivité de Mady qu’elle projetait à l’extérieur d’elle, l’amenant dans son délire de surprotection. En restant dans l’idée du suspense à laquelle semble s’être attachée la metteuse en scène, vous pourrez en comprendre davantage en allant voir la pièce.
Présentée à la Petite Licorne jusqu’au 26 avril prochain.
Crédits Photos : Hugo B.Lefort