« On dit que si un peintre ou un poète tombe amoureux de vous, vous devenez éternel. »
Julie s’est en allée.
La scène s’ouvre sur un ciel de nuages cotonneux. Au beau milieu de ce ciel, une porte et, sur le côté, un banc rouge. Et voilà la magie qui s’axe autour de ce banc rempli des souvenirs du passé, des larmes et des rires du présent et des rêves du lendemain.
Les artistes de la Compagnia Finzi Pasca ont revêtu leur armure, car ce qu’ils doivent affronter est une véritable bataille. Julie Hamelin Finzi vient de décéder et, un grand malheur n’arrivant jamais seul, leur belle école va être détruite. Il va falloir s’armer de beaucoup de courage, de soutien et d’amour pour traverser cette tempête. Car c’est bien un tourbillon qui emporte les artistes dans leur vie.
Sur une succession de tableaux racontant l’histoire de Julie, de son combat contre la maladie et de la perte de leur école; Daniele Finzi Pasca a l’idée géniale de concentrer sa création sur la tempête. Aussi, par un effet de machinerie (de souffleries au centre de la scène), les tissus de soie deviennent des dragons, les petits sacs de plastiques, des papillons : il neige des boules de coton…
Le visuel dans le travail de la Compagnia Finzi Pasca est époustouflant. Tout vous invite à la rêverie. L’imaginaire s’envole et dans les yeux de chaque spectateur, on y aperçoit son âme d’enfant. Le jeu de lumières est très présent. Que ce soit à la technique, par les projections vidéos en arrière-plan ou par les tubes LED que les artistes utilisent au cours de la pièce, on joue avec l’obscurité et la lumière qui en jaillit. La scénographie en elle-même est une entité propre du spectacle. Les objets s’envolent, des jardins apparaissent et tout devient jeu… Car devant la gravité de la situation, il ne faut surtout pas oublier son enfant intérieur. Bien au contraire : c’est cette vision du monde si pure et lumineuse qui permet d’affronter la souffrance.
Les artistes, acteurs, circassiens, chanteurs, musiciens, enfants, viennent des 4 coins du monde et forment une vraie famille. Chacun réagit différemment face à ces événements (cauchemars, peurs, tristesses, colères, mélancolie…), mais ils sont ensemble, unis, et se soutiennent. Ainsi, ils peuvent se souvenir de la joie de vivre de Julie, de ses valises, de ses rêves de spectacle et de son rire. C’est un hommage vibrant et magnifique !
Dans ce spectacle, les arts se mêlent et s’entremêlent. Per Te n’est pas uniquement un cirque, une représentation théâtrale, ni même un concert, mais bien un peu tout cela à la fois. La trapéziste s’envole dans les airs, pendant que la danseuse tourbillonne au sol et que ses amis jouent de l’accordéon en chantant. Les jongleurs s’amusent de tout, pendant qu’un ange vient nous faire des clins d’œil et nous parler d’ailleurs et d’amour. C’est unique et grandiose !
Les images sont fortes et les thèmes abordés le sont tout autant (la mort, la maladie, le combat, la peur de l’abandon, le refus…). On passe du rire aux larmes. Certaines situations, semblant anodines, d’autres portent un message lourd : ce jeu de balle commence dans la cour de récréation et se finit sur cet homme en pleurs, implorant que cela cesse, faisant ainsi écho à la douleur de la maladie et des souffrances. Et les symboles portent également en eux de nombreuses interprétations. Les armures sont à la fois celles des chevaliers tel Don Quichotte se battant contre les moulins, car on ne se bat pas contre la mort ; et celle des amis qui doivent rester forts face à la perte d’un des leurs ; ou encore l’armure de cette guerrière qui s’est battue jusqu’au bout contre ce mal qui la rongeait lentement.
Julie Hamelin Finzi, cofondatrice de la Compagnia Finzi Pasca est décédée en mai 2016, trois mois avant la première d’un grand spectacle. Daniele Finzi Pasca et ses artistes décidèrent de lui rendre hommage et de raconter cette période de leur vie. Trois mois avant la première, donc, les costumes n’étaient pas prêts, la scénographie était encore en construction, le travail loin d’être achevé. C’est cet univers particulier de création de spectacle qu’offre également Per Te. Les techniciens apparaissent sur scène, il manque des costumes, tout n’est pas fixé, les coulisses sont à vue, on arrête même une scène pour la recommencer.
Depuis sa création en 2011, la Compagnia Finzi Pasca s’est démarquée à travers la monde par ses créations poétiques, pluridisciplinaires, soignées et oniriques. Per Te est un chef-d’œuvre, une claque artistique de par sa réalisation, les thèmes abordés et l’engagement des artistes sur scène. Un beau message envoyé, volant vers cette étoile qui s’est en allée.
Crédit Photo : Viviana Cangialosi/Compagnia Finzi Pasca