Zoé: On a tous une question!

C’est dans le contexte de la grève étudiante de 2012, moment auquel germait dans la tête de l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière l’idée de ce projet, que se déploie ce cours théâtral de philosophie sur les planches du théâtre Denise Pelletier.

Zoé, une jeune collégienne qui a comme ambition de devenir médecin, et dont les parents sont – évidemment – avocats, lui ont obtenu une injonction afin qu’elle puisse poursuivre «ses» cours et faire respecter «son» droit à l’éducation. La jeune élève qui «est ici pour étudier et non pas se remettre en question» rencontre Luc, son professeur de philosophie, qui se trouve contraint de lui inculquer la matière promise. Le contexte inopinément intime et exclusif de leurs rendez-vous scolaires permet à Luc de questionner à la manière d’un «maitre naïf» Zoé qui, particulièrement farouche, défensive et obtuse, s’obstine à ne pas se poser de questions.

Le texte bien écrit, drolatique, captivant et sans longueur pose d’intéressantes questions et cherche à montrer les différences de perspectives par rapport à la réalité d’une situation. Olivier Choinière nourrit le public interpellé par ses questions prenantes et souligne que « derrière chaque geste, chaque décision, il y a une question ».

Heureusement, les plus gros clichés, qui auraient pu être nombreux vu la situation de huit clos à deux personnages (un maître plus âgé et sa jeune étudiante) déjà vue mille fois, sont largement évités. Alors que le théâtre est animé par le conflit et qu’il le cherche pour donner corps à son intrigue, la philosophie cherche plutôt à penser ce conflit, et à l’éviter. Pourtant, la somme de ces deux arts se combinent ici parfaitement et offre un cours de philosophie théâtrale qui conjugue pensée et conflits de manière aussi divertissante qu’instructive.

Ironiquement, cette pièce qui traite essentiellement de «perspectives» souffre un peu de ne pas en avoir eu davantage, alors que le double rôle d’Olivier Choinière au texte et à la mise en scène ne lui permet pas le recul le plus bénéfique. La mise en scène, quelque peu statique, déploie essentiellement les mêmes réflexions que le texte et demeure plutôt concrète.

En contrepartie, quelques idées inventives sont bien accueillies. Pensons aux adresses au public, dans ce contexte de cours magistrale, qui sort le spectateur de son anonymat en rendant le spectacle interactif. Ou encore ce moment savoureux où, pour questionner les contraintes de la réalité, le prof tombe du plateau qui représentait sa classe, nous laissant dans l’impression que la réalité est un jeu dans lequel les questions sont les pièces nous permettant de jouer. Or, les répétitions de certains dialogues avec les changements de perspectives associés créent une certaine redondance, autant dans la mise en scène que dans le texte, et n’offrent malheureusement pas l’effet escompté, bien que l’on comprenne l’intention du metteur en scène derrière.

Le duo d’acteur fonctionne bien. Marc Béland (Luc) est hilarant en patient professeur de philosophie qui tente vertueusement de faire entendre quelque chose à son étudiante arrogante. Il est captivant dans son rôle et crédible du début à la fin. Zoé Tremblay-Bianco (Zoé) se débrouille bien dans le rôle d’une collégienne mal prise à se faire croire que ses convictions ne sont pas celles de ses parents et qu’elles lui sont propres.

Leurs dialogues incisifs et conflictuels donnent parfois au plateau carré sur lequel ils évoluent au centre de la scène des allures de ring de boxe. Incliné, ce plateau permet de donner aux personnages une perspective différente, dépendamment s’ils se trouvent dans un coin ou un autre de la pièce. Le reste de la scénographie est composée de chaises vides placées sur scène à différentes hauteurs, représentantes des étudiants grévistes absents, et de néons angulés accrochés relativement bas. Le tout, évoquant une classe déstructurée, semble pensé pour représenter l’idée des différentes perspectives que l’auteur cherche à montrer, autant dans son texte,  dans sa mise en scène que dans cette scénographie généralement chargée.

«Pourquoi je serais obligée d’avoir une question?» demande d’emblée Zoé. Celle qui se voit en droit d’obtenir «son» cours et qui accorde peu de crédit à l’enseignement de son prof qui dit que «nous sommes tous animés d’une question», pose ici sa question propre, celle qui l’anime. Cette pièce inspirante et originale permettra sans doute aux spectateurs les plus curieux de les aider dans cette réflexion qu’ils partagent peut-être avec Zoé, mais certainement aussi de s’approcher un peu plus de la question qui les anime eux-mêmes.