2035. Les derniers baby-boomers sont exilés sur la lune après avoir été déclarés « criminels contre la terre ». Le clonage devient également une pratique interdite dans le but de prémunir des conséquences désastreuses du désir d’un baby-boomer de se dupliquer…Tel est le prélude de ce texte déjanté qui pose, dès le départ, les prémisses d’une querelle intergénérationnelle. Trente ans plus tard, réuni dans un salon aux allures victoriens, le Club des Marquis, un groupes d’enquêteurs du dimanche, cherchent à résoudre le mystère « Guy Douillette ». Qui est-il? Est-il un clone? De qui est-il le clone?
Parce qu’ils ont « trop d’argent, trop d’amis, trop de culture et de talents » et qu’ils s’ennuient en cette journée pluvieuse, les truculents personnages créés par Olivier Morin et Guillaume Tremblay se lancent en tant que détectives mondains dans leur enquête à l’allure d’un voyage initiatique surréaliste. Les protagonistes y feront notamment les rencontres successives d’une poubelle intelligente et criminelle, d’automates animés représentant des figures de proue de la culture populaire du temps des baby-boomers et d’un homme sans visage, barrista des ténèbres… autant dire que les situations loufoques s’enchainent à la vitesse grand V et que le spectateur qui acceptera d’adhérer aux propositions absurdes y trouvera une foison d’occasions de rire aux éclats.
Si la trame narrative chargée nous rend parfois confus, ce texte écrit à quatre mains dans lequel se succèdent un sublime parler poétique et des répliques au joual franchement décomplexé a de quoi surprendre et enchanter à la fois. On trouve dans cette pièce une ironie absolument savoureuse qui permet une large critique, tout en même temps qu’un hommage inavoué, de cette génération des baby-boomers qui aura eu comme plus grande aspiration « une retraite dorée et infinie ». Mais aucune génération n’est ici épargnée: l’action, posée en 2065, permet de nombreux retours en arrière sur notre présent et permet de rire allègrement de la génération des milléniaux qui deviendront des « grands-mères non-binaires et non-genrés qui prenaient des photos avec ses enfants comme accessoires pour leur compte instagram ». Tout comme les « X » qui se plaindraient le ventre plein « de n’avoir jamais été aimé ».
Olivier Morin, qui co-signe le texte en plus de la mise en scène, dirige habilement ses acteurs qui s’engagent dans leurs rôles multiples de façon sérieusement absurde, avec une diction et un sens du timing parfait. Burlesque à souhait, les dandys-acteurs se trouvent entre le jeu et la performance, et offrent tous des prestations réussies. Les différents tableaux successifs impressionnent par leur précision et leur originalité. La musique, qui prend une place prépondérante dans l’œuvre, transforme la pièce en comédie musicale dans laquelle se côtoient ironiquement les Simon and Garfunkel et majestueusement les Rachmaninov de ce monde. Le spectacle s’offre comme un double festin pour les yeux et les oreilles.
Dans le franc but de faire rire, et avec la prouesse rare d’y parvenir à chaque tentative, cette pièce trouve aisément sa place dans les spectacles théâtraux offerts dans le cadre du festival Juste pour rire, et un détour par le théâtre Duceppe en cette canicule estivale offre un plaisant rafraichissement. Il serait un réel plaisir de voir prendre vie à nouveau cette comédie absurde, satirique et absolument cocasse sur les planches d’un théâtre près de chez nous (et avant 2065 svp).
Crédits Photos : Josée Lecompte