Alors que la comédie grand public Menteur franchisse le cap des six millions au box-office ne surprend personne, la performance d’Il pleuvait des oiseaux, adaptation du roman du même nom de Jocelyne Saucier traitant du quotidien atypique d’ermites vieillissant en forêt, elle, a franchement de quoi étonner et ravir. Le 1 million et des poussières engrangés jusqu’à maintenant par ce troisième long-métrage de Louise Archambault démontre que, lorsqu’une oeuvre dégage des émotions pures et met en scène des personnages intrigants, elle ira d’une manière ou d’une autre chercher son public malgré son sujet à première vue peu attrayant sur le plan commercial.
Rémy Girard et Gilbert Sicotte incarnent donc ces deux hommes ayant délibérément choisi de vivre exclus de la société. La mort subite de leur ami Boychuck (Kenneth Welsh) , héros tourmenté des grands feux ayant autrefois ravagé la région, entrainera l’arrivée d’une octogénaire injustement internée toute sa vie (Andrée Lachapelle) qui renaitra de ses cendres, découvrant l’amour et la liberté pour la première fois de son existence. Ce récit d’espoir et de rédemption a touché Archambault dès la première lecture du roman. Elle savait qu’il y avait là un riche langage cinématographique a exploiter. «Je savais que j’avais envie de partager cette histoire-là avec le plus grand nombre de gens possible.»
Il pleuvait des oiseaux aborde avec sensibilité des thématiques rejoignant un large public comme la vieillesse, les tourments de l’amour, le regret et les vertus de la nature. Un pari risqué alors que les films d’action pompeux font légion et que ceux d’auteurs tendent à être boudés ou mal interprétés, d’autant plus que le long-métrage mise sur la lenteur réconfortante de la nature et les multiples sens du silence. Or, celui-ci, personnage primordial de l’oeuvre, ne se fait jamais assommant pour les spectateurs, au contraire. «J’avais peur d’ennuyer les gens. J’ose espérer que, s’il y a un silence dans la scène, qu’il soit justifié et que le spectateur vive l’état émotif du personnage, que ce soit de la joie, de la peine ou de la douleur. J’avais qu’on rentre en fusion, en synergie avec ce que les personnages vivent. »
Désireuse de raconter une histoire d’amour inspirante, la réalisatrice de la comédie Merci pour tout, qui sortira en décembre prochain, a opté pour une approche mettant de l’avant plan les cinq sens, surtout le symbole de la main. «La base de l’être humain, c’est d’aimer et d’être aimé. Je voulais donc que le film soit sensoriel, qu’on ressente même les odeurs du bois. Pendant la préparation du film, je suis tombée sur un livre de photos avec des ermites et la première image était celle d’une main. De quoi a l’air une main de quelqu’un qui vit de bois, qui coupe et chasse pour vivre. Je voulais m’approche de la vérité de ça. »
Il en résulte d’ailleurs une scène d’amour absolument magnifique et poignante entre les personnages campés par Andrée Lachapelle et Gilbert Sicotte. Montrant la beauté des corps imparfaits s’aimant d’un amour pur, cette séquence a été tournée dans le plus profond des respects. « J’ai dit aux acteurs : Allez dans le lit, et on tourne (rires)! Déjà avec le film Gabrielle, j’avais tourné une scène du genre avec des gens qui ont un handicap intellectuel, donc pour moi c’est naturel. Dans Il pleuvait des oiseaux, c’est une scène phare. J’avais envie de magnifier ces personnages-là. Je disais à la blague à Gilbert et Andrée qu’ils seraient le couple le plus sexy de 2019! On a fait beaucoup de répétitions avec un matelas gonflable, ce qui a permis de rire, de briser la glace. L’important, c’est de s’abandonner. Je suis une amoureuse des acteurs et des actrices. Macha Grenon m’a d’ailleurs déjà dit, sur le plateau de la série Nouvelle Adresse, que je serai excellente pour tourner des pornos (rires)! J’aime quand c’est beau et délicat, monter le désir, montrer la beauté de la peau. Pendant les scènes, je parle, je guide les acteurs et les techniciens, et ça les rassure. »
Pour son chant du cygne, Andrée Lachapelle ne pouvait rêver d’un meilleur rôle. Sa fragilité et sa force ont ému la réalisatrice, convaincue dès les premiers instants que l’actrice de 87 ans devait prendre part à cette aventure. « Je pousse beaucoup les acteurs, et ils aiment ça. Andrée n’a pas d’égo, elle est constamment dans la générosité et le jeu. Au début du tournage, elle trouvait qu’elle avait de la difficulté à apprendre ses textes et que c’était plus difficile de bouger, mais plus ça allait, plus elle avait de l’énergie. Elle était drôle avec les techniciens. Je l’admire encore 1000 fois plus qu’avant. Les conditions de tournage étaient difficiles (pratiquement 26 jours dans le bois), mais elle ne s’est jamais plainte une seule fois. Elle est une belle lumière. Plus les acteurs vieillissent, plus ils aiment être dirigés.»
Ève Landry, qui incarne une photographe déterminée à rendre publique les toiles de Boychuck, a également été à même de constater la ténacité de Mme Lachapelle alors que les conditions de tournage étaient parfois houleuses. « On dormait sur des petits lits de camp, et je me disais : Attends, Andrée Lachapelle va vraiment dormir là?! Quand je suis arrivée sur les lieux de tournage pour la première fois, je l’ai vu toute seule dans la salle commune avec une flashlight pour apprendre son texte. C’était une image tellement touchante!» Ève Landry, pour qui il s’agissait du premier rôle d’importance au grand écran, s’est mise beaucoup de pression, d’autant plus que le personnage de Raphaëlle lui permet une certaine cassure avec celui de Jeanne Biron d’Unité 9. «J’ai ressenti la pression de ne pas me planter. Je me la mets beaucoup sur les épaules, celle-là. J’avais le souci de bien faire les choses. Mais, fondamentalement, l’important, c’est de raconter une histoire et d’y croire.»
Il pleuvait des oiseaux est encore à l’affiche dans quelques cinémas au Québec!
Crédits Photos : Edward He, Éklectik Média