Ses doigts semblent voler au-dessus du clavier, il caresse les touches comme on caresse un être aimé. Parfois si vite qu’on ne voit pas le mouvement. Sholto Kynoch ne fait pas que jouer du piano. Ce serait trop limitant comme choix de verbe et cela n’a rien d’un jeu pour lui. On peut le voir sur son visage. De la joie, presque de l’euphorie, alors que son collègue, l’impressionnant baryton Dietrich Henschel, l’accompagne, et une intense concentration transforme leurs visages dès les premières notes. Ce n’est pas juste L’incanto degli occhi de Schubert qui nous coupe le souffle, mais la virtuosité des deux artistes sur scène. Voici ce à quoi nous avons eu droit hier soir lors du 85e anniversaire de l’Orchestre symphonique de Montréal, et ce n’est que le préconcert!
Le public est déjà ébahi lorsque, une demi-heure plus tard, le maestro Kent Nagano fait son entrée et les acclamations viennent du cœur. Après seize ans avec l’OSM, le chef d’orchestre a décidé de ne pas renouveler son contrat et quittera Montréal en juin prochain. C’est peut-être votre dernière chance de voir le maître à l’œuvre. Le vrai concert débute avec deux morceaux de l’opéra Le Barbier de Séville de Gioachino Rossini. Le baryton Henschel est de retour et il performe brillamment Largo al factotum. Un morceau d’une grande rapidité considéré comme un des plus difficiles et qu’il performe avec une aisance qui nous laisse subjugués. Toute la salle l’acclame avec force.
Suite à un entracte, c’est maintenant au tour de la mezzo-soprano Rihab Chaieb de séduire le public. Son interprétation de Una voce poco fa, un autre air du Barbier de Séville, lui vaut à elle aussi les applaudissements frénétiques de la salle. Hors contexte, le morceau peut laisser perplexe, mais en lisant la traduction, on apprécie beaucoup plus les mimiques de la chanteuse. Elle plonge complètement dans le rôle de Rosina et en ressort victorieuse.
La seule note négative de la soirée est le choix de l’ordre des morceaux. Le concert se termine sur la Symphonie no 6 en do majeur de Schubert… un morceau de près de 27 minutes! Il aurait été plus judicieux de finir sur une note triomphale avec la chanteuse, ce qui aurait permis au public de se réveiller un peu, car cette symphonie n’est pas ce qu’il y a de plus revigorant et, approchant la fin de la soirée, il est beaucoup plus difficile de garder l’œil ouvert et d’apprécier à sa juste valeur cette œuvre méconnue du compositeur.
L’Orchestre symphonique de Montréal performera d’autres classiques de Franz Schubert à la Maison symphonique jusqu’au 17 janvier.
Crédits Photos : Orchestre symphonique de Montréal, Antoine Saito