Dans le cadre de la vingt-troisième édition du festival Montréal en Lumière, qui se tiendra jusqu’au 5 mars, Pierre Lapointe a offert le vendredi 18 février dernier la première de trois représentations d’un spectacle inédit joliment nommé Les retrouvailles.
Alors que dehors des patineurs amateurs profitaient du sentier glacé aménagé au Quartier des spectacles, plus d’une centaine de privilégiés retrouvaient au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts le réconfort de l’art vivant avec un auteur-compositeur-interprète qui maîtrise complètement son univers doux-amer qui délivre autant les pleurs que les grands éclats de rire.
Avant d’amorcer ce tour de chant, Pierre Lapointe, élégamment vêtu d’un costard noir agrémenté des classiques chemise blanche et nœud papillon, a tenu, avec sa désinvolture et sa transparence désormais légendaires et assumées, à exposer l’incertitude du spectacle à cause de la pandémie et la galère liée aux remplacements de musiciens devenus »personnes contact » qui a connu son dénouement seulement en répétition le matin même du concert! Cette mise au point a rendu le public très attentif et imprégné par les chansons tristes, peut-être même un peu trop…On y reviendra.
Évidemment, malgré les changements de dernière minute, les musiciens ont accompli un travail admirable et hautement professionnel. En guise d’introduction musicale, on a eu droit à la mélancolique Amour bohème , tout juste avant la levée du rideau au son de Tatouage qui dévoilait la harpiste Éveline Grégoire-Rousseau, le percussionniste José Major, les guitaristes Félix Dyotte et Jean-Gabriel Lambert, les choristes Franck Julien, Léo Hamel et Othniel Petit-Frère ainsi que le bassiste Karl Surprenant, qui s’est d’ailleurs commis pour la première fois sur scène au guitarrón, un instrument à cordes mexicain s’apparentant fortement, comme son nom l’indique, à une guitare.
L’apport de cet instrument était non négligeable à l’atmosphère prodiguée par Pierre Lapointe qui souhaitait visiblement pimenter ses œuvres sur les planches. Appuyée par le décor aussi sobre que brillant avec la multitude de boules disco argentés et de rideaux à paillettes dorées, la fusion musicale d’effluves latines et de mélodies d’inspiration variété française donnait l’impression d’être dans un chic cabaret où absolument tous les mélanges de genre et de thématiques étaient non seulement possibles mais exécutés avec authenticité.
Les fervents admirateurs du chanteur ont rapidement remarqué que Les retrouvailles est en fait une version bonifiée du spectacle Pour déjouer l’ennui dont la tournée, débutée en février 2019, a vécu un coït interrompu à cause des raisons qu’on connait hélas trop bien. Même si la plupart des chansons livrées étaient issues de l’album du même nom fignolé en collaboration avec Albin de la Simone , Pierre Lapointe a offert un voyage hautement satisfaisant au cœur de sa discographie qui compte maintenant 11 albums étalés sur plus de 18 ans. Il a été en effet extrêmement généreux avec les spectateurs en proposant presque 120 minutes de musique sans intermission.
De son propre aveu »crissement déprimant », son répertoire truffé de récits de peines d’amour et d’aveux de défaites a eu un effet catalyseur sur le public qui était immensément attentif, ému et respectueux. Outre des applaudissements et des ovations bien nourris pour la conclusion et les rappels, le public était plutôt timide lors des demandes du chanteur de chanter ou de participer plus bruyamment.
Ce fût notamment le cas sur le refrain de la pièce Encore un autre amour tirée de l’album rock Ton corps est déjà froid de Pierre Lapointe et les Beaux Sans-Cœur. Les gens devaient se prêter au jeu d’être en état très avancé d’ébriété dans un bar chansonnier à la 2 Pierrots en titubant les lignes Encore un autre cœur détruit, encore un autre amour qui fuit. Malheureusement, malgré ses efforts constants pendant la chanson, Pierre n’a pas réussi à faire hurler le public, et a même semblé jeter la serviette lors du dernier acte de la chanson.
Heureusement, le public a fortement réagi à l’autodérision de l’artiste. Ce dernier n’a pas eu peur de reconnaître avec une tranchante franchise le caractère parfois tragique de ses textes et la création derrière certaines pièces même si cela ressasse des souvenirs pas très glorieux, comme avec la pièce Le monarque des Indes qui résulte d’une folie amoureuse qui semble aujourd’hui carrément absurde aux yeux du chanteur qui ne s’est pas gêné pour la commenter avec humour entre deux lignes.
Pour sa pièce Amour ou songe, qui a été écrite pour son candidat David Marino à La Voix et qui rappelle les chansons vintage de Disney , Pierre Lapointe s’est imaginé un film de Disney qui mettrait enfin une romance homosexuelle entre un cultivateur bazanné
D’autres moments de grâce, ceux-là résolument bouleversants, ont émergé tels que les morceaux Tel un seul homme, Les lignes de ma main issu du spectacle Mutantès, Nous restions là (qui est magnifiquement mise en valeur dans le film Les Nôtres de Jeanne Leblanc) et Maman, Papa, saisissante pièce de l’album Chansons Hivernales qui aborde l’injuste et incompréhensible rejet familial à la suite d’un coming out. L’ajout envoûtant de la harpe et des choristes sur 27-100 rue des Partances a permis de redécouvrir sous un autre angle et avec grand bonheur cette pièce indémodable.
Pour conclure le tout, le grand succès de l’artiste, celui qui jouera en boucle à sa mort selon ses propres dires, 2×2 rassemblés, a retentit dans une formule acoustique irrésistible. Encore une fois, le public manifestait de la gêne sauf quand Pierre Lapointe a demandé à ses musiciens à plusieurs reprises lors de la finale d’arrêter de
jouer pour que la seule chose audible à travers les masques soit les paroles suivantes : Ce n’est sûrement pas de tomber qui nous empêchera de rêver. Une phrase si forte de sens dans le contexte actuel qu’une centaine d’inconnus a chantée ensemble comme une promesse qu’aucune pandémie ne pourra anéantir le pouvoir du rêve.
Le plus récent opus de Pierre Lapointe, L’heure mauve, la bande sonore de l’exposition du même nom de Nicolas Party au Musée des beaux-arts de Montréal, est maintenant disponible en version numérique uniquement.
Par ailleurs, il est toujours possible de profiter des activités extérieures gratuites de Montréal en Lumière et de faire de savoureuses découverte culinaires. Cliquez ICI pour en savoir plus.
Crédit Photo : Stéphanie Payez, Éklectik Média