Philadelphia High School s’avère être bien plus qu’une simple école secondaire. Il s’agit d’une émission populaire pour ados qui vend le rêve américain et de l’estime à grands coups de répliques sirupeuses et de revirements de situations complètement grotesques. C’est une ode clichée mais ridiculement addictive au football, aux amourettes inutilement compliquées et aux incontournables premières beuveries. Sous la plume du jeune dramaturge Jonathan Caron, cette prémisse se transforme en une pertinente réflexion sur le besoin difficilement explicable de préférer ressembler à une idole plutôt que d’être véritablement soi.
Présentée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 31 mars, Philadelphia High School met en scène 10 talentueux acteurs de la relève dont certains visages vous seront peut-être vaguement familiers. Ils incarnent tous des fans finis de PHS n’arrivant pas à supporter la prévisibilité de la finale controversée. Cette série, dont la créativité est principalement dictée par les cotes d’écoutes, les réactions sur les divers réseaux sociaux et les caprices de stars à en devenir y figurant, représente tellement toute la vie de cette bande qu’elle décide de réinventer l’émission en diffusant une fanfiction sur Facebook dans laquelle elle incarne elle-même tous les personnages. Cette dernière devient rapidement virale, et la situation complètement hors de contrôle. Les limites entre la fiction, la réalité, la création et la célébrité instantanée s’embrouillent, laissant les protagonistes encore plus désorientés, confus et en manque de modèles sains qu’ils ne l’étaient avant l’apparition au petit écran de ce pastiche de Degrassi, Les Frères Scott, Gossip Girl et compagnie!
Après avoir brillamment exploré l’aveuglement des employés de multinationales avec la pièce Starshit, qui lui a d’ailleurs valu, avec sa collègue Julie Renault, le Prix auteur dramatique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2016, Jonathan Caron nous arrive avec un texte tout aussi ingénieux et complexe qui manie avec fluidité plusieurs thématiques définissant la période trouble qu’est l’adolescence, spécialement au temps du numérique. Le coloré langage franglais employé par les personnages prend vie de manière totalement crédible sur scène. Les acteurs se l’approprient avec la même d’énergie que leurs personnages s’en approprient d’autres sous peur de n’être que des humains ordinaires sans intérêt. Cette soif de gloire du groupe dissimule une critique virulente mais jamais moralisante sur le regard de l’autre, la dépendance aux technologies de même que sur le milieu du divertissement destiné aux jeunes adultes régenté par l’insatiable appât du gain. Le tout se tisse subtilement à travers de savoureux et bien souvent hilarants dialogues résultant d’une magnifique compréhension de l’univers fascinant de la fanfiction.
Cette fable moderne axée sur les répercussions de questionnements existentiels universels empoissonnant lentement mais sûrement le quotidien n’apporte pas de réponses limpides. Caron se sert à bon escient du médium théâtral pour exposer l’humble fruit de ses propres interrogations et dénonciations sans une once de jugement. Il laisse les spectateurs interpréter et digérer ce constat de société absolument comme ils l’entendent, ce qui permet à l’œuvre d’être percutante et mémorable pendant un plus long moment.
D’un point de vue technique, la mise en scène, également signée Jonathan Caron, relève haut la main le défi de faire évoluer pendant 90 minutes sans interruption pas moins de dix acteurs dans l’harmonie la plus totale. Les mouvements ne semblent pas forcés. Malgré l’espace restreint, l’œuvre respire tout en conservant son ton dynamique, frénétique et exagéré qui caractérise l’état d’esprit des protagonistes. Bien que fort joli, le décor, qui consiste en une trentaine de téléviseurs parsemés un peu partout, dégage une atmosphère étonnamment statique. En revanche, les jeux de lumières ne manquent pas d’âme et de vigueur.
Bref, délaissez vos écrans le temps d’une soirée pour découvrir cette œuvre audacieuse résolument bien ancrée dans son époque.
Crédits Photos : Olivier Courtois