Lysis dynamite les planches du TNM avec une pièce teintée de justice sociale. Un texte puissant qui célèbre le militantisme au féminin en fustigeant le patriarcat.
Il aura fallu quatre ans pour voir enfin cette pièce écrite par deux femmes (Fanny Britt et Alexia Bürger), mise en scène par une femme (Lorraine Pintal). Un trio symbolique qui offre une réflexion sur des enjeux actuels, surtout après la révocation de l’arrêt Roe vs Wade.
Sur scène, Lysis joue depuis près de dix ans un double jeu. Cadre chez Forest inc, un laboratoire pharmaceutique, elle est aussi engagée secrètement dans une cellule d’activistes. Un jour, la chercheuse découvre la nocivité d’un médicament contre l’infertilité. Elle laisse fuiter la nouvelle via son groupe anonyme, qui la rend publique. En réponse à ce scandale, Lysis propose une idée radicale : une grève de la natalité. Cet élan de contestation est au début sous-estimé. Mais la mobilisation prend progressivement de l’ampleur. Et face à cette coalition, des hommes influents cherchent à briser ce mouvement féministe.
Le postulat de départ est audacieux : « arrêter d’engrosser le système pour le faire s’écrouler ». La femme donnant la vie, un tel choix exercerait une pression sur la caste masculine, menacée d’extinction. Cela servirait alors de levier de négociation pour se faire entendre et enfin respecter. Les autrices se demandent « si la capacité de porter des enfants, qui est encore réservée aux porteuses d’utérus, pouvait passer d’asservissement à prise de pouvoir, de fardeau à affranchissement. » On vous laisse imaginer la réponse.
LA FORCE DU NOMBRE
Librement inspirée de Lysistrata, la pièce explore une forme de désobéissance civile qui fusionne en une seule cause des siècles d’inégalités. Une résistance, initialement pacifiste, contrainte à la radicalisation. La scène est en cela un échiquier où les femmes et les hommes se confrontent.
Bénédicte Décary est exaltée dans le rôle-titre. Une Électre 2.0 pleine de force et de doutes. Jacques L’Heureux (Victor Forest), un PDG calculateur face à Isabelle Vincent (Cora Forest) en sœur rivale plus empathique. Quant à Jean-Philippe Perras (William Arès), c’est un tyran aussi détestable que cynique.
Les autres comédien·ne·s supportent cette distribution d’envergure où l’on retrouve notamment Cynthia Wu-Maheux, Widemir Normil ou encore Brigitte Paquette. Ces seconds rôles sont sublimés par l’effet de chœur, où des vers sont déclamés par plusieurs personnages. Un phénomène dont la puissance résonne tout au long du spectacle. On ne peut que frémir quand les femmes sont jugées « ingrates, folles, chiennes, salopes ». Ces échos décuplent en cela la rage et la violence de certaines répliques. Dans cet écrin tragique, le spectacle fait le choix de la sobriété en s’appuyant sur de subtils jeux de lumière et un trio de musiciennes.
UNE RÉVOLUTION À SUIVRE
Pièce sur la sororité, Lysis est un cri de rage en faveur de l’équité, la parité et la solidarité. Et dans un monde où ces droits sont encore réprimés, elle libère une parole étouffée par des siècles d’inégalités.
C’est tout un défi d’en faire la démonstration dans un seul espace. La proposition est riche, ambitieuse, seulement ses ramifications l’empêchent de se déployer. On effleure le sujet sans totalement l’embrasser. La révolte atteint certes un point de rupture, mais son souffle retombe rapidement, bridé par la loi des mâles. Lysis referme un chapitre dont la suite reste à écrire. Une étincelle pour une révolution en devenir où la femme reste l’avenir de l’homme.