Un an après son fulgurant succès littéraire, Rue Duplessis – Ma petite noirceur est transposé chez Duceppe. Le texte de Jean-Philippe Pleau y est fidèlement retranscrit dans une forme hybride où la pièce prend des allures de balado.
Sur scène, l’auteur convoque, à son micro, les souvenirs et les figures marquantes de son histoire. Ce choix atypique surprendra les puristes du théâtre. L’adaptation de David Laurin a pourtant le mérite d’abolir le fameux quatrième mur. Elle nous tend un miroir déformant dont la valeur testimoniale se trouve renforcée.
L’illusion d’une émission en direct est une mise en abyme audacieuse. Le spectateur se voit interpellé par le vrai Jean-Philippe Pleau. Feuilles en main, il nous livre des extraits de son roman sans se prendre pour un acteur. L’auteur sert davantage de trait d’union à de courtes séquences où deux comédiens le rejoignent.
Michel-Maxime Legault et Steve Plante incarnent ainsi des doubles de Pleau. L’un plus jeune, ti-cul défavorisé, l’autre plus âgé, intello bobo. Leur entrevue donne d’ailleurs lieu à un clash autant générationnel qu’identitaire avec une bonne dose d’autodérision. Un dialogue décalé pour montrer l’évolution de ce transfuge des classes.

Un spectacle vérité dérangeant
La mise en scène de Marie-Ève Milot nous invite dans une modeste maison de Drummondville. Un bungalow ordinaire pour une famille qui l’est tout autant. Un père analphabète, une mère peu scolarisée, voilà les racines modestes de Pleau.
Une série de saynètes s’arrime à la facture radiophonique. Steve Plante y campe un père rustre, ouvrier sans manière ni éducation. Quant à Michel-Maxime Legault, il joue la mère hypocondriaque de manière convaincante. Rue Duplessis représente en cela une misère dont on peine à mesurer les enjeux.
La pièce illustre bien ce fossé socioéconomique, de codes et de valeurs, en rupture avec un milieu plus aisé. Elle reprend un principe fondamental du théâtre : la vraisemblance. L’omniprésence de Pleau transcende l’autoréférence. Rue Duplessis s’apparente à un spectacle vérité tissée à même la « migration intérieure » de l’auteur. Le public entre alors dans une vérité incarnée, filtrée par le prisme du théâtre.

Il y a certes une forme d’intellectualisation, seulement elle est à l’image des murs du décor qui reculent peu à peu. Une distanciation vis-à-vis d’un passé traumatique. La portée plus émotive apparaît dans la projection de photos personnelles ou encore à travers un portrait familial empreint de bienveillance.
À notre niveau, il est facile de porter un regard critique sur une réalité qui n’a jamais été le nôtre. De rire de la simplicité de gens dans notre système qui les exclus. Car combien de personnes dans la salle se considèrent comme des transfuges ? Une minorité, sans doute, dont l’appréciation sera assurément fort différente.
En 1h35, Rue Duplessis jette un regard frontal sur la marginalisation et les inégalités. Par extension, le spectacle s’interroge sur notre indifférence de privilégiés. Or, il n’y a pas pire vérité que celle qui dérange. Et cette ombre est beaucoup plus étendue qu’une petite noirceur. Voilà pourquoi cette pièce hybride s’affranchit des codes établis pour livrer son percutant message sur la violence sociale des classes.
Rue Duplessis – Ma petite noirceur
Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 4 octobre 2025
Texte : Jean-Philippe Pleau
Adaptation théâtrale : David Laurin
Mise en scène : Marie-Ève Milot
Avec : Steve Laplante, Michel-Maxime Legault, Jean-Philippe Pleau
