Le FIJM a retenu sa leçon du fouillis chaotique qu’ont engendré les mesures de sécurité accrues exigées par l’équipe de la chanteuse Norah Jones le 27 juin dernier. Les médias ont été informés quelques jours d’avance de la fouille électronique demandée par la formation britannique Alt-J, et des avertissements assiégeaient toutes les vitrines extérieures de la Place des Arts. Il y a donc eu de l’amélioration, mais l’image de la horde de visages d’enfants et de têtes blanches se sentant coupables sans raison lorsqu’ils s’exposaient à d’innocents gardiens de sécurité faisant uniquement leur boulot demeurait troublante et exaspérante pour l’allégresse caractérisant les festivals montréalais maintenant au service d’une terrorisante et pathétique réalité.
Le poids de ces exigences inhabituelles a refroidi la frénésie des rumeurs d’avant-spectacle. La quantité surprenante de sièges vides et le bas niveau d’anticipation laissaient présager un navrant scénario pour la résidence de deux jours à la Salle Wilfrid-Pelletier d’un trio masculin atypique méritant pourtant un foudroyant accueil en ce rare périple au Canada (le groupe s’arrêtera au Bluesfest d’Ottawa le 4 juillet et au FEQ le 5 juillet). Cette sensation a été toutefois en partie atténuée par la première offerte par Drama.
Originaire de Chicago, le duo formé du DJ Na’el Shehade et de la chanteuse Via Rosa a fait vibrer son intéressante fusion de house et de lounge racontant des tourments amoureux universels d’une poésie accessible et accrocheuse. Après quelques mesures de tambourine saccadées, la puissance vocale de Rosa a réanimé les cœurs tout comme ses mouvements de danse maladroits délicieusement assumés. Le timbre gospel minus l’exagération qui peut parfois l’accompagner et le ternir a intrigué les spectateurs de plus en plus attentifs sans pour autant éclipser leur timidité.
L’ambiance survoltée escomptée s’est perdue dans la mer fade et trop volumineuse des synthétiseurs et ordinateurs qui, même s’ils donnent un bon résultat sur disque, n’élevaient aucunement l’énergie scénique de Via Rosa comment auraient pu le faire les résonnances en direct de batteries, violons ou guitares. Le public l’a ressenti, mais a tout de même nourri le sublime de sa voix avec des applaudissements et cris généreux. Soudain, à mi-parcours, davantage de places ont été comblées, et l’excitation gagnait enfin du terrain grâce à la livraison enflammée de récents singles comme Give no fucks et Dead and gone. La hâte de découvrir tout le potentiel des tiges lumineuses formant le décor a atteint son paroxysme. On tenait finalement le spectacle.
Le climat clamant victorieuse la peur instaurée en début de soirée s’est complètement détruit à l’instant où, sous un mystérieux jeu de lumière sombre, les premières notes de guitare de Something Good ont retenti, faisant lever le parterre d’un bond. Cette spontanéité du public a donné tout son sens à l’album An awesome wave, premier du groupe, duquel est issue l’entrée en matière. Cette géniale vague de passion et de défoulement a été nourrie autant par la foule que par Alt-J qui en a profité pour offrir une exploration variée et réfléchie qui a mis en lumière l’essence de leurs trois premiers opus (An awesome wave (2012), This is all yours (2014) et Relaxer(2017)).
À l’aise avec le français, le claviériste et choriste Gus Unger-Hamilton s’est chargé des »Bonjour, Montréal, ça va? » d’usage qui ont survolté la foule, mais n’était pas plus bavard qu’il ne le fallait. Ce qui aurait pu paraître comme une attitude froide en était plutôt une judicieuse et d’un minimalisme contrebalançant parfaitement les rythmiques vitaminées et l’impressionnante pyrotechnie, la véritable manière d’Alt-J de s’exprimer. Se modulant à chacune des notes, le visuel coloré, vaporeux et stroboscopique plongeait brillamment les spectateurs dans une bulle enivrante où n’existait que l’envoûtement des claviers et des guitares ne répondant plus à aucune étiquette. Jazz, rock, pop, électro s’agglutinaient pour former un son unique, énigmatique alliant puissance et sobriété avec une aisance rare et minutieuse.
Chaque son était calculé, et cette absence d’improvisation n’a jamais nui à l’enthousiasme de la foule, trop heureuse de recevoir autant les galvanisants succès comme Breezeblocks, In cold blood et Left hand free que les trésors cachés Bloodflood, The Gospel of John Hurt, Nara et l’excellent interlude a capella Ripe&Ruin. Ces moments de nostalgie pour les fans de la première heure ont semblé rendre perplexes des festivaliers venus découvrir. Il faut dire que l’atmosphère hermétique causée par le mélange de statisme des musiciens et de l’extravagance des effets spéciaux pouvait effectivement facilement rebuter les non-initiés. Alt-J est à découvrir d’abord sur disque plutôt que directement en concert.
Si la voix planante de Unger-Hamilton donnait des frissons, celle de Joe Newman a parfois flanché, mais ce qu’il n’arrivait pas à offrir en puissance vocale, il le compensait avec d’excellents solos de guitare électrique. Même si la salle Wilfrid-Pelletier a revêtu ses plus beaux habits de plancher de danse, son aspect classique limitait légèrement la portée des crescendos musicaux faisant la réputation du groupe. Le faible volume des sons préenregistrés n’a pas aidé non plus. On sentait les artistes s’empêcher par moments de mettre la pédale au fond puisque le public ne pouvait sauter aussi librement que dans une salle dépourvue de chaises. Même si le public ne s’est jamais rassis tout au long des 90 minutes du concert, il n’a pas scandé les paroles plus fort que les principaux intéressés. Il est vrai que la poésie du groupe est assez difficile à se mettre en bouche. C’est pourquoi Newman encourageait la foule à prononcer des refrains simples ou à s’improviser choriste. Les »This is for Matilda », »Please don’t go, I love you so » resteront gravés dans la mémoire de tous les gens présents. De véritables instants de communion et de bonheur.
L’étrange originalité et l’effervescence créative d’Alt-J n’a pas fini de nous dérouter et de nous charmer. Malgré la probable fouille, on a déjà hâte à leur prochaine visite au FIJM, et pourquoi pas cette fois troquer les lumières pour un orchestre symphonique. On a bien le droit de rêver…
Crédits Photos : Frédérique Ménard-Aubin