Pierre Lapointe ne me connaît pas. Je ne le connais pas non plus, personnellement. Mais du plus loin que je me souvienne, il a toujours fait partie de ma vie, malgré lui, par ses textes aussi poétiques que poignants, tantôt émouvants, tantôt ironiques, mais constamment illustrés par de magnifiques images qui nous transportent dans l’imaginaire. Samedi soir, pour l’avant-dernière journée des FrancoFolies de Montréal, les spectacles Bell nous présentaient La science du coeur de Lapointe, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.
Une première partie agréablement animée réchauffa le public. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai découvert Voyou pour la toute première fois, cet artiste Nantais que je ne connaissais ni ďÈve ni ďAdam. De l’électro-pop enlevant, des paroles sensées, une présence incroyable et remplie de reconnaissance pour son public, surtout… astucieusement choisi, bref, pour accomplir l’ouverture d’un spectacle du grand Pierre Lapointe. Nous faisant voyager au rythme de ses sons, soit suspendus à sa trompette, sa guitare électrique ou à son drum électronique, Thibaud Vanhooland, de son vrai nom, nous interpréta chacune des pièces musicales de son EP, On s’emmène avec toi. Parmi celles-ci, nous retrouvions Seul sur ton tamdem, Les soirées, La légende urbaine, pour ne nommer que mes préférées.
Un seul détail m’accrocha cependant: la sono étant fort intense, nous perdions le fil des paroles entendant davantage l’instrumental que la voix de Voyou. Pour de l’électro-pop, me direz-vous, mais quelle importance? C’est le beat qui nous intéresse. Ce à quoi je vous répondrai, non, non, j’insiste, il s’agit-là d’un élément fichtrement important, que dis-je, fondamental, car cela nous décrochait çà et là de ses récits, qui, j’en suis persuadée, valaient une attention bien particulière… Pour une fan aguerrie de Pierre Lapointe, inutile de vous préciser que j’adore me laisser toucher par les textes qui composent les chansons que j’écoute. Ceci dit, pour une néophyte qui ne connaissait rien de l’univers de ce jeune chanteur, cela me laissa sur ma faim! Nonobstant cela, en exécutant ce que l’on appellerait le lâcher-prise, je réussis tout de même à m’enivrer des rythmes accrocheurs de ses titres et fus charmée par ses pas de danse dynamiques. J’avais vraiment l’impression d’assister à l’une de ses séances de jam tant le tout était exécuté avec simplicité! Résultat de cette découverte? J’ai passé un bien agréable moment et je vais sans l’ombre d’un doute suivre cet auteur-compositeur-interprète au style complètement assumé (et je vous conseille d’en faire autant, car sa carrière solo sera très certainement à surveiller)… (psst! Allez donc jeter un œil à sa chaîne YouTube! Il a même pensé à mettre les paroles de chacune de ses chansons dans la description! Mais quelle délicate attention! Cliquez ici.)
© Victor Diaz Lamich / Les FrancoFolies de Montréal 2018
Une entracte que je ne prévoyais guère me séparait ensuite de mon plat de résistance. Le cœur du spectacle, celui qui était tant attendu de tous, Pierre Lapointe. Quelques minutes de trop pour moi, fébrile de le revoir enfin, Les sentiments humains étant, en effet, le dernier spectacle auquel j’avais eu la chance d’assister!
Puis, le rideau se lève et retentissent les premiers échos de la pièce Qu’il est honteux d’être humain. Accompagné de ses deux comparses, au piano, Amélie Fortin, au marimba, João Catalão, Pierre frappe fort en interprétant l’une des pièces maîtresses de son album La science du coeur, sans introduction aucune. Après s’être exécuté en maître (qui est surpris?), Lapointe nous lance un doux, mais chaleureux « Bonsoir!… J’espère que ça va bien! », puis poursuit, décrochant ainsi le rire de plusieurs spectateurs: « Ce qui est le fun avec cette chanson-là et avec le fait de commencer le spectacle par elle, c’est qu’elle donne le ton à tout le reste du show » … Puis, s’esclaffant, il rajoute: « J’espère que si y a des gens tristes dans la salle, bien, que vous n’êtes pas venus seuls… sinon, bien, appelez un ami en sortant, parce que… » de son air espiègle. Du bonbon. Hilarant!
S’enchaînèrent Un cœur, puis, des plus anciennes compositions comme Nu devant moi, Barcelone, Les lignes de ma main, Je déteste ma vie… Soudain, retentirent, à un moment, les notes de Pointant le Nord, petit cadeau tout chaud pour ses admirateurs les plus nostalgiques. L’introduisant en justifiant qu’il n’a plus le même style d’écriture qu’autrefois, elle n’en demeure pas moins, à mon avis, une pièce marquante de sa carrière. Alternant entre compositions de son dernier album et de ses précédents, Lapointe nous épatait encore et encore (jusqu’à notre mort) à chacune des notes.
© Victor Diaz Lamich / Les FrancoFolies de Montréal 2018
La soirée se termina avec la chanson de son nouveau vidéoclip (sorti il y a quelques jours à peine), Alphabet, puis le noir. Quelle finale! En ovation debout, les spectateurs en redemandaient, visiblement ravis! Et avec raison!… Une chaude acclamation bien méritée pour les auteurs de ce « trip à trois musical ». Les artistes sortaient, le rideau se baissant à leurs trousses, sous les applaudissements à tout rompre qui laissaient s’échapper des « Bravo! » à la pelletée. Après s’être fait attendre quelques instants de plus, notre Pierre Lapointe national s’est repointé le bout du nez sur scène pour nous interpréter, accompagné de deux artistes invités, Hubert Lenoir et son frère Julien, une autre chanson. C’est une composition, nous expliquèrent-ils, qu’ils ont pondue à trois, dans un hôtel, il y a deux ans. Comme nous avions droit à une Première, ce soir-là, en ce sens qu’ils ne l’avaient pas rejouée depuis, excepté lors de leur générale, et que Pierre ne voulait pas nous dévoiler ni le moment ni l’endroit où l’on pourrait éventuellement la retrouver, je me garderai de vous dévoiler le titre que vous connaîtrez bien assez vite! Fallait être là. C’était MA-GNI-FI-QUE et, juste pour ça, ça valait vraiment le coup: ajouté au reste du spectacle qui était déjà derrière nous, ça relevait de la magie! Mais, c’est ça, du Pierre Lapointe. C’est cette impression d’un instant volé trop vite passé. C’est de l’émotion pure, dense et intelligente, qui sait nous toucher où ça fait mal, pour nous faire du bien.
S’ensuivit un éditorial aussi touchant que nécessaire de Lapointe quant à l’urgence d’encourager les artistes en consommant la musique d’ici. Les grandes compagnies multinationales telles YouTube ou encore Spotify entraînent les notes jusqu’au bout du monde, ce qui est très bien, soutenait-il, car cela fait que la musique peut être connue internationalement… Par contre, cela provoque également le pire pour les chanteurs, soit que leurs musiques peuvent également être accessibles et vendues à des prix ridiculement bas. Ils nous donna un exemple très précis pour sa chanson Je déteste ma vie, écoutée plus d’un million de fois sur Spotify, mais qui lui rapporta la maigre somme de 500 $… Pour les artistes qui, comme lui, se retrouvent médiatisés ou passent à la radio régulièrement (rappelons-nous que cela n’a pas toujours été le cas!), poursuivit-il, ce n’est pas aussi dramatique, mais imaginez pour les autres. Terminant cet édito en informant qu’il y aura certainement de la gronde très prochainement, puis il rappela ses deux musiciens sur scène.
Les musiciens de Lapointe revinrent donc sur scène pour interpréter brillamment une dernière chanson, cette fois, La science du cœur, titre du dernier album du même nom. Le public fit preuve d’autant de générosité que les artistes en les applaudissant chaleureusement pour la dernière fois de la soirée, attendant même qu’ils quittent la scène avant de sortir de la salle. Une soirée émotive et profonde, du Pierre Lapointe à son meilleur!
Crédit de la photo de couverture : © Victor Diaz Lamich / Les FrancoFolies de Montréal 2018