Après avoir été Cinglant (2012) et Trop humain (2015), Guillaume Wagner nous arrive avec un troisième effort solo dont c’était la première montréalaise, le 8 mai dernier, au Théâtre Outremont. Titre parfaitement à propos, Du cœur au ventre dévoile avec fracas la jouissive évolution d’un humoriste plus mature qui se fout bien que sa lucidité n’aboutisse pas en une grossière mais réconfortante utopie.
D’entrée de jeu, l’artiste de 35 ans, d’une rafraîchissante et désarmante transparence, admet que son humour s’adresse davantage aux cyniques brisés par en dedans qu’à des spectateurs voulant se taper férocement les cuisses en entendant des anecdotes tirées du quotidien. Il est vrai que, si pris uniquement au premier degré, les vannes sur le vedettariat, le narcissisme des réseaux sociaux, l’irréversible déchéance du climat et la fulgurante popularité des livres de croissance personnelle intellectuellement vides font sourciller bien plus qu’elles ne suscitent de rires spontanés. Or, il faut absolument dépasser ce stade de choc relié à la rage exagérée qui émane du personnage scénique, car c’est là que se cache toute la brillance de Wagner. Ses observations cruellement véridiques, on a besoin de se les faire dire avec autant de fermeté et d’autodérision dénuée de complaisance afin que les introspections aient un réel impact.
Il est facile de s’offusquer du ton blessant de sa voix de » mongole » qu’il emploie pour désigner un comportement niais, mais il est encore plus hypocrite de ne pas concéder sa redoutable efficacité comique, qu’on s’y identifie, qu’on l’utilise nous-même et qu’on reconnait beaucoup de personnes dans ces situations. Sans filtre et toujours avec une pointe d’affection, Guillaume Wagner nous renvoie le miroir de notre société aussi fascinante et magnifique que malade et étrange, mot qui revient d’ailleurs souvent dans son monologue. Certes, ces brutales réflexions amenées sur notre égoïsme individuel et collectif ne font pas plaisir, mais puisqu’on doit vivre avec, Guillaume ne mérite pas la mauvaise foi dont le public lui fait fréquemment preuve en jouant les vierges offensées. À plusieurs reprises, il doit justifier la définition même de sa profession, atténuer certaines blagues et procéder à de gentils avertissements. Il est bon joueur car son but premier, nous ne sommes pas dupes, demeure de nous divertir tout en nous plongeant dans un état interrogatif sur des sujets sociaux préoccupants. Dommage que parfois on ne le lui rend pas aussi honnêtement…
Chacun interprétera différemment ce défouloir à la fois doux et puissant. D’autres riront à gorge déployée, à en avoir des crampes dans les joues. D’autres seront si ébahis et subjugués par la qualité des textes et la précision du vocabulaire choisi qu’ils auront également la bouche ouverte, mais pour laisser s’échapper subtilement un » oui, tellement ». Peu importe les réactions, cela donne lieu à une atmosphère unique tantôt excitante tantôt teintée de malaises. Guillaume Wagner, qui avoue lui-même être prisonnier du système et plus introverti dans la vraie vie, nage comme un poisson dans l’eau dans cet univers mordant et vulgaire aux moments opportuns. Les 90 minutes de Du cœur au ventre passent très rapidement. Les thématiques s’enchaînent fluidement bien que certaines phrases rappelant les sujets se répètent inutilement.
Il résume Facebook parfaitement et presque poétiquement en déclarant que tout le monde est gênant mais personne n’est gênée. Des perles de ce genre, le spectacle en dissimule une pelletée. Il contient aussi une bonne dose de rébellion saine, des encouragements à parfois envoyer promener la société et nous-même pour se recentrer. Ces invitations nullement anarchiques se distinguent de ces appels faits dans ses tournées précédentes. Son rôle de papa heureux en couple apporte une nouvelle lumière, apaisante et belle, qui nous fait comprendre que, au-delà du « chialage » et de l’accumulation, la race humaine a du bon. Vraiment. Sincèrement.
Guillaume Wagner confesse, malgré toutes les faussetés du show business, qu’il exerce passionnément ce métier car il a un manque d’amour et d’attention à combler. À sa manière, sans morale et violon, il nous comble à son tour en étant un artiste persévérant et généreux.
Crédits Photos : Joanie Raymond Éklectik Média