«Si l’on juge votre orthographe, il est rare que l’on juge l’orthographe elle-même». Ce sont sur ces paroles réflexives que s’ouvre le spectacle-conférence aussi informatif que ludique donné par les deux professeurs iconoclastes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Tout à fait efficace, la présentation nous offre une perspective nouvelle sur une réalité dogmatique qui passe inaperçue, mais qui pourtant se fait dictatrice de nombre de nos habitudes. Qui n’a pas déjà changé un mot dans un texte parce qu’il n’était pas certain de son orthographe, nous demande les comparses, invoquant l’idée selon laquelle le contenant devient plus important que le contenu. Si le choix du mot juste pour s’exprimer nous apparaît secondaire devant la nécessité de bien l’écrire, c’est que l’outil a perdu sa fonction première, semble-t-il. Aucune convivialité, donc, dans cet instrument de communication qui en est parfois un de torture.
Reposant sur des études de linguistique, le spectacle remonte aux origines de la grammaire et nous fait rougir d’avoir été tant attaché à notre façon d’écrire les choses; l’orthographe français, tel que nous le connaissons, n’est en fait issu que d’une série d’accidents hasardeux des uns et d’un désir d’entretenir son prestige des autres. Entre des moines copistes qui, dans la noirceur de leur monastère, transcrivaient mal des textes et l’académie française qui disait que «l’orthographe devrait servir à distinguer les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes», tout y est pour faire monter en nous l’amertume d’avoir dû apprendre par cœur toutes ces règles aussi farfelues qu’inutiles. D’ailleurs, si l’orthographe était pour les académiciens de l’époque un accessoire de discrimination vaniteux, Arnaud et Jérôme nous éclairent sur le fait que cette discrimination est bien enracinée et présente dans notre ère moderne. L’argument final de l’un au cours d’un débat sur les internets n’est-il pas souvent que l’autre fait des fautes d’orthographe? Et cet «orthographisme», si je puis me permettre d’utiliser ce néologisme, est plus présent que l’on y pense à première vue…
En interpellant le public et en rendant le spectacle joyeusement interactif, les professeurs nous font entre autres voter sur des graphies différentes de plusieurs mots, rendant acceptable, tout à coup, que les choses que l’on tenait acquises changent pour le mieux. Fervents défenseurs d’une réforme de l’orthographe qui tiendrait compte de règles logiques et cohérentes et qui respecterait véritablement les codes étymologiques de la langue, les deux joyeux lurons belges nous renseignent sur tous les obstacles et les oppositions à une telle démarche. Le propos ferait certainement friser les oreilles des orthodoxes de l’orthographe de l’académie française, mais le public, lui, est réjoui en tous points à l’issue de cette présentation. La seule faute dont on peut réellement leur tenir rigueur est de ne pas avoir fait durer le plaisir plus qu’une seule petite heure, qui passe si vite.
Après un succès retentissant en Belgique, lieu de sa création, et en France, le spectacle traverse l’Atlantique et atterri au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 10 novembre seulement. Si vous en avez la chance, ne ratez pas d’aller rendre visite à ces deux énergumènes de la scène qui nous offre une splendide occasion de réfléchir, débattre et de se bidonner sur un sujet aussi subversif dans une prestation qui a absolument tout pour plaire.
Crédits Photos : Véronique Vercheval