Quatrième pièce de l’américain Tracy Letts, August: Osage Conty a d’abord rencontré un succès monstre a Chicago, lieu original de se création, puis sur Broadway, avant d’être catapultée sur de nombreuses scènes à l’internationale et traduite en autant de langues. Encensée doublement par le public et la critique, elle remporte de nombreux prix, dont le Pulitzer en 2008, avant de faire l’objet d’une adaptation cinématographique en 2014. Autant dire que bien des attentes précédaient la venue de cette pièce qu’a choisi de nommer Disparu.e.s Frédéric Blanchette , qui signe sa version québécoise.
La chaleur est suffocante dans Osage Conty et les fenêtres de la maison familiale sont calfeutrées pour faire obstacle à toute lumière qui voudrait pénétrer dans l’espace qui n’a rien de gai ou de vivant. Beverly Weston (Guy Mignault), père de famille et poète ayant connu jadis un certain succès, offre l’ouverture de cette pièce en se complaisant dans des citations d’écrivains écorchés auxquels il s’identifie, avant de disparaître dans la nature. Bien qu’inutile en ce que ce personnage n’avait pas besoin de présentation propre, cette ouverture annonce tout du reste: lourde, acerbe et parfois rigolote. La nouvelle de la disparition de leur père fait apparaître ses trois filles (ainsi qu’enfants et conjoints) qui reviennent au bercail pour l’occasion au chevet de leur mère Violet (Christiane Pasquier) ainsi que leur tante Mattie Fee (Chantal Baril), l’oncle Charlie (Roger Léger) et le cousin »P’tit » Charlie (Renaud Lacelle Bourdon). Au final, onze personnages du clan Weston, et tout autant de névroses, se partagent la majeure partie des scènes dans cette rencontre familiale aux allures de débarquement de Normandie.
Semblable par le contenu et le contenant à beaucoup d’autres comédies dramatiques familiales telles qu’on en voit au théâtre et à la télévision, la pièce ne fait pas exception quant au lot de secrets de famille, de trahisons, de rivalités, de mensonges, de révélations incestueuses et de conflits générationnels dont elle est composée. La saveur particulière de Disparu.e.s se trouve dans la présentation d’un personnage pilier féminin absolument vitriolent posé comme la cheffe d’un clan familial en décomposition. Cette mère hargneuse à souhait qui oscille entre des moments extrêmes de fragilité (entre sa dépendance aux médicaments et son cancer de la bouche) et des moments de mépris et de cruauté sans bornes, est un rôle à composition complexe et intéressante auquel une actrice chevronnée aurait certainement envie de donner corps. Christiane Pasquier ne réussit cependant pas à insuffler suffisamment de crédibilité à ce personnage magistral pour que cette singularité de Disparu.e.s puisse émerger adéquatement. La pourtant très talentueuse et émérite actrice sombre dans la caricature dans ses moments de faiblesses alors qu’elle chancelle d’une manière qui manque de précision. Les moments d’hostilité et d’immaturité, pourtant bien rendus dans le texte, manquent également de nuances et de justesse.
Un constat similaire s’émet au sujet des trois sœurs Weston. Ivy (Évelyne Rompré), Barbara (Marie-Hélène Thibault) et Karen (Sophie Cadieux), toutes trois très dissemblables en surface et pourtant toutes marquées de façon similaire par la même mère imbuvable, manquent de profondeur. Il est dommage de constater qu’aussi peu d’insistance ait été posée sur les relations entre les personnages dans un texte qui fait pourtant la belle part à l’histoire relationnelle de ses protagonistes. Seuls Chantal Baril, qui offre un personnage aussi condescendant qu’humoristique, et la relation père-fils qu’on su instaurer Roger Léger et Renaud Lacelle-Bourdon, tirent leur épingle du jeu. À cette mise en scène qui aurait nécessité une direction d’acteurs plus poussée s’ajoute un décor multi-palier intéressant, mais qui demeure cependant sous-exploité.
L’addition d’un texte trempé au vitriol et récipiendaire d’un Pulitzer, un metteur en scène et des acteurs expérimentés et d’un décor qui n’a rien pour déplaire n’aura pas suffi à combler les attentes. Comme quoi de très bons ingrédients ne font pas toujours, ensemble, une très bonne recette…
Crédits Photos : Caroline Laberge