Dimanche soir dernier, je m’entretenais avec 5 membres des Productions de L’Instable à l’origine du spectacle « Dompteur », présenté au Zoofest. Voyez le contenu intégral de mon entrevue ci-dessous:
D’où ça vous vient, l’idée, le concept de Dompteur ?
Frédéric Barbusci : « Quand je jouais à la Ligue d’impro montréalaise, pendant une impro, j’avais dit à ma troupe : »jouez, puis moi j’vais vous diriger pendant », puis… Quelques années plus tard, j’me suis souvenu de cette affaire-là, puis j’étais… Pourquoi pas l’essayer en show? On avait déjà fait des shows de L’Instable, mais là, on reprenait et Rachel, la codirectrice, est embarquée dans le projet, puis on a fait trois soirées et après ces trois soirées, pis on s’est dit : »Y’a quelque chose à faire avec ça », pis depuis ce temps-là, on l’a fait comme 20-30 fois. […] on savait qu’on avait quelque chose qui nous permettait d’aller plus loin, d’explorer des choses, de pousser le comédien un peu plus loin en lui enlevant ce côté… euh… Tsé des fois quand on joue, on improvise, on réfléchit en même temps, tandis que là on laisse le dompteur réfléchir à notre place et nous on fait juste jouer. »
Dans le cadre du ZooFest, va-t-il y avoir que des duos de comédiens, comme ce soir, qui vont performer sur scène ou bien nous aurons droit à des trios, ou même des performances solos?
Frédéric : « Le concept original est à quatre… Là, pour le ZooFest on le fait à deux, mardi soir on fait Salomé Corbo, que je vais dompter, seule. Et le dernier soir, on le fait à quatre, il va y avoir Nicolas, Johanne, Mathieu Lepage, Anne-Marie Binette, que je vais dompter! Pour la dernière, on s’est dit : »on y va à quatre! » »
Comment avez-vous déterminé quels comédiens allaient performer ensemble sur scène?
Frédéric : « Tous les duos se peuvent, tsé, on a comme une gang de comédiens avec qui on a joué beaucoup dans la dernière année, avec qui on a beaucoup de plaisir… Écoute, ça a été un peu une question de »bon, on va essayer de faire jouer tout le monde »… Moi, j’adore jouer avec Johanne, on s’est dit : »ça va faire un bon duo »… Nicolas a joué avec Anne-Marie avant-hier, ça a super bien été… En fait, on aurait pu continuer et faire tous les duos possibles. »
Rachel Gamache, codirectrice générale et artistique des Productions de l’Instable : « La complicité en improvisation, c’est vraiment précieux, puis on essaye d’exploiter ça aussi, avec L’Instable, de construire la troupe au fur et à mesure et exploiter les complicités qui sont déjà là. »
Nicolas Michon, comédien et metteur en scène : « Un spectacle comme le Dompteur, […] t’as comme une notion de »j’ai juste à interpréter ce qu’on me dit de faire, puis après ça mon instinct embarque »… Puis des fois c’est une bonne chose, d’autres fois, c’est pas une bonne chose, mais j’ai juste à penser à jouer! On me dit quoi écrire, on m’dit où aller, fait qu’après ça tu pourrais jouer avec, limite, quelqu’un de très expérimenté et quelqu’un de très PEU expérimenté, puis j’pense qu’il y aurait une rencontre qui se passerait quand même. Donc quand on est un collectif de musiciens, d’éclairagistes, d’interprètes et de dompteurs, au service d’une seule personne, on est enclins à la complicité!
Johanne Lapierre, comédienne : « Tsé on a joué ensemble beaucoup dans d’autres ligues, puis là, L’Instable, bon, ils ont commencé en 2015, cette année y’avait comme une vraie saison, donc on a fait plusieurs concepts, on a fait des dompteurs, on a fait des monothèmes […] donc, c’est un bassin de comédiens, mais on rejoue tous un petit peu ensemble dans des shows différents, on se recroise, puis c’est vrai que c’est super important la notion de confiance!
Crédit photo: ©Martin Métivier
Comment on se sent en tant que Dompteur?
Nicolas : « Moi c’était la première fois que je le faisais ce soir, et il y avait une découverte tsé… Ben… ma première fois, là, on n’oublie pas sa première fois, puis c’est maladroit, puis c’est chaotique : l’expérience nous fait nous familiariser avec le fait que, ben »saute et le filet apparaîtra », mais à toutes les fois, c’est un nouveau jump, ton parachute peut TOUJOURS ne pas s’ouvrir, mais on fait confiance, on sait qu’on n’est pas seul, fait que pour moi, oui, c’est un espèce de jump, un peu intimidant… À la fois que tu diriges aussi le dude qui a starté Cinplass, le dude dont c’est la compagnie (Fred Barcusci), Johanne Lapierre qui a été ma pre-miè-re coach d’impro à vie… donc y’a vraiment un bagage derrière qui m’a… »
Coupé par Frédéric : « Non mais on avait confiance! J’veux dire… Tsé, t’es metteur en scène, t’as cette euh… Mais… Le rôle de dompteur, ce qui est l’fun, c’est que tu peux pitcher des affaires aux comédiens que, même toi, tu ferais pas!… Pis c’est à eux de s’arranger avec! Puis… de l’autre côté bien, quand t’es comédien, tu fais… Beeeennnn, il va m’dire ce qu’il veut, j’vais l’faire pis si ça fonctionne tant mieux, si ça fonctionne pas, ben, c’est pas d’ma faute, c’est d’sa faute! Donc, on a une responsabilité croisée, y’a vraiment une grande confiance entre les deux rôles, qui donne quelque chose où on dépasse un peu nos limites, un peu ce qu’on ferait individuellement. Des fois on a une retenue en tant qu’improvisateur, mais là le dompteur fait »non, non, lâche ta retenue, va-s’y! » … Et d’un autre côté, en tant qu’improvisateur on a une retenue de nos limites, fait que quand t’es dompteur, bien là, c’est pas tes limites à toi, c’est les limites au comédien, fait que, tu peux les pousser un peu plus. »
Nicolas : « La commande que tu donnes aux comédiens, tsé, ils jouent, pis là tu leur murmures dans l’oreille »va vers ÇA », les chances sont que ça donnera pas exactement ce sur quoi tu les enlignais, ça va donner autre chose, pis c’est ça qu’il faut que t’acceptes… Tu peux te préparer à l’infini, puis, on sait très bien, tous les cinq ici, que plus tu prépares ton impro, moins elle est bonne, tsé c’est plus la magie du spontané… fait que t’acceptes que la contrainte que t’as donnée à haute ou à basse voix donne ce résultat-là et c’est à partir de ce résultat-là que tu rebondis sur le prochain et le prochain et le prochain… c’est juste de l’écoute (il marque une pause) puis idéalement un peu de surprises. »
Crédit photo: ©Martin Métivier
(À Catherine) Ça doit être tout un challenge aussi pour toi qui joue de la musique… On sait jamais comment ça va tourner, donc comment on peut QUAND même se préparer à un spectacle comme ça?
Catherine Planet, musicienne : « On s’prépare pas vraiment, j’veux dire, musicalement, moi, c’est juste d’essayer de bien comprendre comment mon violon fonctionne… C’est des choses qu’on sait déjà, puis c’est juste que je m’amuse, j’explore, fait que ça ne se prépare pas non plus. (rire) »
Nicolas : « Non, mais, la musique, l’éclairage… C’est autant des artistes de l’improvisation du spectacle qu’on offre […] c’est vraiment un tout. »
Catherine : « Ouais! J’écoute ce qu’ils disent, ça m’inspire… des fois, moi, j’peux faire de quoi qui va LES inspirer, pis… J’ai des défis, c’est sûr que moi, bon… Je suis mélodiste. J’ai une guitare, j’ai un violon, j’ai pas une grosse machine à beat et tout ça, fait que, s’ils me disent »T’es dans les années 80′ sur le bord de la plage », ben tsé, c’est sûr que la toune qui m’vient, c’est pas la toune que j’vais pouvoir sortir, tsé, fait que… j’essaye de trouver quelque chose qui va ressembler à ça… Mettons que j’pense à un petit beat de surf, ça va être plus épuré. Ce que j’entends, moi, puis c’que ça donne, c’est deux résultats, mais c’est super intéressant… »
Frédéric, s’adressant à Catherine : « Puis euh… Corrige-moi si j’me trompe, mais… Dominiq, qui fait aussi la musique avec nous souvent… des fois, y’entend pas tout ce qu’on dit, mais y voit nos corps, y voit nos attitudes, puis y’a ça qui vient l’inspirer… Puis, à l’inverse, des fois, les musiciens vont donner un ton qui va, nous, sans le savoir, nous inspirer dans une direction… »
Catherine : « C’est ça, quand on n’entend pas exactement tout ce que vous dites, ben là on continue ailleurs, puis, vous, ça vous enligne… »
Johanne : « À la limite, nous, ça nous guide, ouais… »
Catherine : « Oui, on s’guide mutuellement, tsé! »
Johanne : « Des fois, on… on fait »ah! Là, la musique m’amène là! », mais des fois c’est vraiment inconscients!… Ça m’plonge encore plus dans cette émotion-là, dans ce type d’attidudes-là! »
Catherine : « À la musique, comme au jeu, on s’pitch, on essaie des choses… Des fois, justement, ça peut ne pas marcher, on peut s’accrocher, on se reprend… Ça reste super organique, là, tsé, on vise pas la perfection… Je vise pas la perfection… Je vise juste être capable de nourrir ce qui se passe! C’est de se lancer, puis de ne pas avoir peur, justement, de pas faire la bonne chose ou de faire des erreurs… »
Nicolas : « Quand on s’trompe, personne s’en rappelle! »
Frédéric : « Quand on s’trompe, souvent, y’a juste nous qui en sommes conscients, parce qu’on le récupère! Mais euh… Les anglos, en impro, y disent, euh… »a mistake is a gift », dans l’sens où, tsé, quand tu te trompes, tu l’prends, pis ça devient… Ça fait partie de l’impro! Pis des fois, l’public s’en rend même pas compte, tellement t’as rebondis sur cette erreur-là […] qui vient te surprendre pis qui va donner une tangente autre à l’histoire! »
Catherine : « Puis ça, ben, ça donne aussi, j’pense… Quand les gens s’en rendent compte, qu’ils se rendent compte qu’il y a un p’tit bogue ou quelque chose qui s’passe, ça fait un rapprochement, parce que… c’est ça, la spontanéité, pis c’est de voir du monde, des fois, faire une erreur, pis que c’est pas si mauvais que ça… Fait que, ça, ça crée une proximité avec le public aussi! »
Johanne : « Oui, parce que le public est TRÈS empathique […] Ils [les spectateurs] se voient et se mettent dans la situation de »oh mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il va répondre? Qu’est-ce qu’ils vont faire? Qu’est-ce qui va s’passer? » donc ça crée une belle énergie aussi dans nos salles!
Nicolas : « Un truc qui continue de m’impressionner dans le spectacle d’improvisation, c’est, comme dans n’importe quel art de la scène, pour moi, c’est toujours un dialogue entre : su’a scène, pis dans’salle, mais… ça reste une unité, c’est toujours un échange, c’est un retour… Pis… C’que nous, on sent sur scène, c’est JAMAIS c’qu’on perçoit d’la salle et inversement […] La musique qui embarque, l’éclairage qui est là, comme public, tu y crois TELLEMENT… Tu visualises. C’est un jeu qui alimente tellement l’imagination du spectateur, je pense, plus que de l’improvisateur, fait qu’tu y crois d’emblée… »
Johanne : « Ce que le dompteur nous dit, ça peut peut-être paraître paradoxal, mais… Ça nous permet d’être dans un vrai état d’improvisation pur, parce que t’es pas… T’es pas juste en train de réfléchir à analyser »Qu’est-ce que j’pourrais faire? Nanananan »… T’as toujours quelque chose de dit pis t’as pas de temps de réflexion, tu y vas pis tu l’fais! »
Frédéric : « Y’a quelque chose de… Comme Mesmer, mais avec consentement! (rire) Dans l’sens où… y’a aucun VRAI pouvoir là, mais, tout ce qu’il va dire, c’est la vérité, pis j’vais l’faire, puis j’vais l’faire comme j’peux… Pis… une fois qu’on a, tout le monde accepté ça, ben, on s’laisse aller! Pis même le public embarque dans ce pseudo pouvoir-là! […] Juste en l’évoquant, les gens font »OK! Je l’accepte », puis c’est là-dessus qu’ils sont très empathiques! »
Crédit photo: ©Martin Métivier
Pensez-vous attirer que des fans d’impro ou bien plusieurs curieux viennent assister à cette formule?
Frédéric : « On va chercher un peu les gens qui veulent du théâtre autrement, peut-être des gens qui ont arrêté d’aller voir de l’impro, parce que bon… Y’avait la formule, tsé. Et là, ils viennent voir ça et se disent: »OK. Ça peut être autre chose! », puis c’est ça qu’on cherche! […] Ce serait prétentieux de dire qu’on a fait l’tour, déjà… Y’a encore plein de choses à trouver pis plus on avance, plus c’est dur de les trouver, mais plus faut mettre d’efforts pour les trouver! »
Nicolas : « Quand on parle d’impro, j’ai l’impression qu’on entend beaucoup : »C’est drôle, y font des affaires, y font des grosses faces… y punchent, c’est des lineux »… Oui, c’est tout ça, mais, à la base, tout ce qui est scénique, pour moi, est dramatique et émotif, puis à partir de là les choses deviennent drôles, ou étranges, ou stressantes, ou pissantes, ou choquantes… Mais, faut qu’on y croit! »
Est-ce que vous croyez que le Dompteur est une manière de révolutionner l’impro qu’on connaît?
Nicolas : « Je ne sais pas L’Instable est le futur de l’impro, mais pour moi, il est assurément le MAINTENANT de l’impro! »
Pour terminer, à quoi peut-on s’attendre, en tant que spectateur, pour les prochaines représentations?
Rachel : « On peut s’attendre à, des rires, des frissons, mais surtout à être déstabilisé! »