L’auteur-compositeur et interprète Émile Proulx-Cloutier a dévoilé en mai dernier le triptyque Ma main au feu qu’il présentera à la Maison Symphonique, ce vendredi 22 novembre, aux côtés de l’orchestre de l’Agora. Une rentrée montréalaise qui sort un peu de l’ordinaire, tout comme le chemin créatif que l’artiste empreinte d’album en album. Lors de notre entrevue, Émile Proulx-Cloutier nous a parlé du processus créatif de son dernier album, mais aussi de sa vision actuelle de l’industrie de la musique.
À partir de quel moment, tu as su que tu allais diviser ton album en trois actes ?
Ça faisait longtemps que l’idée de proposer quelque chose qui pourrait se décliner en plusieurs bouquets de chansons me trottait dans la tête, mais je ne savais pas si ça allait être en deux trucs de quarante minutes ou trois trucs d’une demi-heure. Finalement, je pense que le plus équilibré pour moi, c’était de faire trois actes de 30 minutes pour que chacun puisse respirer et que la courbe soit complète à chaque écoute. Je trouve que les plateformes permettent ça. Ils sont conçus pour faire des expériences complètes, en eux-mêmes, selon ton état ou le type de voyage que tu vas faire. Il y a une sorte de promenade où tu peux avoir plus envie de l’un ou de l’autre.
Parmi les 22 chansons, est-ce que tu savais d’avance quelle chanson irait dans quel acte?
Non ça a bougé beaucoup. Il y en a pour qui c’était évident. À un moment donné, il y a des ambiances qui se sont mise à se préciser. Il y a des chansons que je savais qu’elles n’iraient pas ensemble, car je ne voulais pas qu’il y ait une sensation de répétition. La division de qu’est-ce qui va où, à 90%, s’est fait assez vite, mais après ce sont des détails.
Comment décrirais-tu l’évolution de ton écriture?
Je pense, au niveau des paroles, en tout cas, que mon écriture est davantage musicale. J’ai l’impression que les mots rendent davantage service à la musique. Par moment, avant, j’avais vraiment le souci que les chansons évoluent comme des petits scénarios et maintenant, je pense qu’on peut, comme s’y plonger, baigner dedans, puis les images tournent un peu autour de nous. Pendant ce temps-là, c’est comme si les mots sont devenus une petite coche moins narrative, mais j’ai l’impression que la musique a davantage de vie. J’ai écouté beaucoup de musique de films dans ma vie et j’ai l’impression que cette influence-là, cette liberté-là, cette progression-là a davantage teinté l’écriture musicale.
Quand tu écris, est-ce que tu as déjà une idée du thème que tu vas aborder ou le thème s’impose à toi?
Cela dépend vraiment des chansons. Des fois, ça va être une phrase qui va être le point de départ, le point d’entrée comme c’est le cas sur Besoin de bras. C’est cette courte expression-là qu’on dit quand on a besoin d’aide pour déménager quelque chose de lourd ou réparer un truc sur un grand chantier. Là, on va avoir besoin de bras. Je me suis dit, oui, le besoin de bras, c’est beaucoup plus large, c’est une expression fonctionnelle, mais je veux trouver une manière de la retourner pour qu’on voit ce qu’elle peut avoir de profond ou de viscéral. C’est comme un artiste dans son atelier où il prend un objet et tente de lui donner une portée plus onirique ou plus profonde que juste créer en fonction du détail. C’est la même chose, donc toutes les phrases qu’on va créer autour sont venues, finalement, comme ça.
D’autre fois, c’est un défi que je me donne comme dans la chanson Burn out. Il y a tu moyen de parler d’épuisement sans en faire une toune épuisante ou déprimante ? Est-ce que cela est possible de faire danser les gens en parlant d’épuisement ? Je me dis que peut-être que je peux le faire et là, c’est mon orgueil qui parle (rires) et j’ai envie de réussir ça. D’autres fois, c’est la musique qui me raconte l’histoire comme La saison des tremblements. Cette musique-là existe depuis longtemps et je me suis dit oh mon dieu est-ce qu’il y a moyen que l’espèce de sentiment libérateur, l’intérieur qui s’ouvre comme un espace qui se crée parce que j’avais beaucoup d’images, mais je n’avais pas envie d’expliquer ces images-là. J’avais envie que les phrases provoquent ou accompagnent le soulagement que la musique donne, donc je savais qu’il n’y aurait pas beaucoup de phrases dans la chanson, mais fallait que je trouve la bonne manière de les déposer.
Pour ce projet-là, il y a des chansons que tu as voulu présenter au public avant de les mettre sur disque. Est-ce que le fait de les faire live ça change la manière dont tu enregistres les chansons après?
En fait, ce sont se sont devenues des chansons familières. C’était devenu des chansons qui étaient mes amies. Parfois, tu enregistres quelque chose et plus tu la fais en spectacle et tu te dis ah j’aurai dû l’enregistrer de même parce qu’à force de la faire tu la pétris peut-être et tu apprends à la connaître. Le piège inverse, c’est qu’il faut faire attention de pouvoir retrouver une fraicheur dans ces chansons-là. Le grand défi d’interprétation, c’est de renouveler la fraicheur. Je suis content de l’avoir fait pour ça et ç’a aussi réorienté la manière d’écrire. D’avoir fait cette tournée-là avec ces chansons-là ç’a comme confirmé que j’ai envie d’aller plus profondément en moi. Je pense qu’au fil de la tournée, je me suis détente comme pianiste et ma détente comme improvisateur s’est comme mise a teinté les harmonies et les mélodies que je composais fait que je pense que ç’a donné un album qui est plus riche. C’est comme si j’avais occupé beaucoup d’espace au niveau des possibilités harmoniques.
Le 22 novembre prochain, tu vas faire un spectacle à la Maison Symphonique. Qu’est-ce qu’un orchestre symphonique va changer à ton interprétation selon toi?
C’est une très bonne question. J’ai hâte de le vivre. J’avais déjà fait un spectacle avec une école secondaire où il y avait un orchestre, mais jamais un spectacle complet. C’est sûr que ça te soulève. J’ai tellement joué seul dans ma vie avant même que des musiciens m’accompagnent, tu sens que tu dois tout faire seul et ça devient un dialogue avec d’autres mondes. C’est certain que tu es obligé de structurer plus et je pense que ça va me libérer à plein d’égard et me soulever. J’ai vraiment hâte de voir ce qu’on va faire. Je vais pouvoir t’en parler le 22 novembre à 22h15 quand je vais sortir de scène (rires), mais je pense que c’est clair que je vais redécouvrir mes chansons. Forcément, je vais devoir aussi être attentif au chef d’orchestre et être attentif à quand est-ce qu’on a besoin du piano et quand est-ce qu’on ne devrait pas en avoir.
Pour terminer, quelle est ta vision de l’industrie aujourd’hui ?
Je ne me sens pas clair voyant par rapport à ça. C’est clair que les techniques bougent beaucoup. Le nouveau règlement, la nouvelle manière, la nouvelle réalité, la nouvelle affaire qui marche. J’ai l’impression qu’avant, il y avait une réponse beaucoup plus simple à ça. Et aujourd’hui, je pense que tout est en place pour que t’inventent les règles qui te conviennent en fonction de type de créateur que tu es et en fonction du type de public à qui tu t’adresses. Si je faisais de la musique de studio très ambiante où il n’y a à peu près pas de mots, je n’aurais pas du tout la même approche que là moi qui suis encore très attaché à la littérature dans la chanson.
J’ai du monde qui me suive qui vont aimer des formules hyper intimistes et des formules explosives. C’est sûr que je suis plus à l’aise quand je peux inventer le chemin à ma manière, comme dans ce cas-ci d’avoir fait 75 spectacles, À mains nues. Il n’y avait pas d’album lié à ça donc juste un spectacle seul, où 40 % des chansons étaient inédites. Non, ce n’est pas une formule habituelle mais je sais que ça m’a fait du bien et les gens étaient au rendez-vous quand même. Je n’ai jamais eu autant de monde à mes spectacles que lors de cette tournée- là.
Un spectacle symphonique, d’habitude, tu fais ça à la fin d’un cycle de spectacle quand tu as fait ta tournée et que tout est clair. Tu présentes tout ça en version symphonique. Là ce n’est pas qu’on fait, car la rentrée montréalaise de l’album va être symphonique et après ça il va y avoir une autre formule qui va partir en tournée. Ça me prouve que les règles qui étaient installées, ce n’était pas des lois divines et qu’on est libre de les inventer.
Par contre, ce qui me préoccupe, ce sont les conditions de vie des musiciens et des interprètes. Je pense qu’il y a 15-20 ans, c’était facile de boucler un budget quand tu étais musicien, même si les bars ne payaient pas trop cher avec quelques émissions de télé, de festivals, à un moment donné tout finissait par se pouvoir. Là, il y a beaucoup de ces occasions-là qui sont réduites. En fait, toute cette chute-là des revenus de la musique, la transformation de l’écoute, elle nuit matériellement et elle nuit à la santé mentale de nombreux musiciens. Cette dématérialisation-là, même si on ne la freinera pas, je pense qu’il faut regarder ce qu’elle modifie dans la vie réelle des gens et peut-être changer certaines applications de la loi, de comment ce que les fonds sont distribués.
Émile Proulx-Cloutier sera donc à la Maison symphonique ce 22 novembre et offrira une supplémentaire le 7 décembre. Vous pourrez également le retrouver au Grand Théâtre le 7 février prochain aux côtés de l’orchestre symphonique de Québec.