King Dave : quand la peur gouverne ★★★1/2

En 2005, Alexandre Goyette, que l’on connaît aujourd’hui pour ses rôles marquants à la télévision (Feux, L’échappée, Le siège…), a connu la consécration dans le milieu théâtral grâce à son poignant solo King Dave, qui a d’ailleurs fait l’objet en 2016 d’un magnifique film en plan séquence réalisé par Podz.

Jusqu’au 23 mai 2021, le Théâtre Jean-Duceppe accueille un nouveau Dave, plus ancré dans la réalité d’aujourd’hui. Alexandre Goyette cède sa place sur scène à Anglesh Major, mais l’appuie dans la reconstruction du texte. Ce texte demeure aussi poignant et tristement actuel. La preuve est que toutes les représentations affichent complet (mais il est parfois possible d’acheter des billets de dernière minute ICI) et que la pièce repartira en tournée en automne 2021, cette fois-ci avec le comédien Patrick Emmanuel Abellard à la défense du rôle principal.

Ce Dave, c’est un homme dans la trentaine qui agit encore comme un ado dans sa manière de parler, de réagir et de faire de mauvais choix très lourds de conséquences. Il navigue dans le monde des gangs de rue en commettant de petits délits criminels qui font l’affaire de bandits d’envergure qui ne veulent pas risquer de se salir les mains. Malgré ses hésitations et ses valeurs, il fonce tout de même pour être de plus en plus populaire et se sentir comme un roi, lui qui est si influençable. En réalité, c’est la peur qui le hante. La peur de ne jamais se sortir de sa routine et de son appartement qu’il a de la difficulté à payer. La peur de ne rien faire d’excitant et avoir la constante impression de gaspiller sa vie…Surtout, la peur de mourir à cause de la couleur de sa peau…

Ce King Dave apparaît dans un décor dépouillé où trône un piano et quelques caisses de son pour bien situer les différents lieux de l’histoire. Anglesh Major habite cet espace avec une énergie débordante qui est appuyée par un langage franglais cru et coloré ponctué d’amusantes références au créole, expressions faciales en prime. Cet ajout, fort apprécié par les spectateurs, permet de faire rayonner la diversité de manière simple et réaliste sans faire la morale pour autant. Puisqu’Anglesh Major transmet à merveille les émotions, les moments en créole s’avèrent relativement compréhensibles pour les gens qui ne parlent pas cette langue.

À travers les désolantes péripéties de Dave, plusieurs thématiques délicates sont abordées sans aucune complaisance comme la pauvreté dans plusieurs quartiers montréalais, les stéréotypes liés aux gangs de rue et l’hostilité entre ses membres, le manque de ressources et la réalité derrière le mouvement Black Lives Matter. Ces sujets se marient fluidement avec les intrigues de la pièce et ne font pas perdre le fil. Les spectateurs assistent avec impuissance à la quête de Dave, ce qui permet d’être complètement déchiré lors de l’angoissant acte final. Le personnage demeure attachant malgré qu’il s’enfonce dans la déchéance. Malgré qu’il sombre dans la vengeance, certes compréhensible, mais facile qui lui causera que des ennuis supplémentaires. Malgré qu’il tienne parfois des propos qui font sourciller à propos de ses conquêtes. Le public rit et pleure avec lui et a le cœur serré lorsque la rencontre prend fin au bout de 100 minutes.

Anglesh Major livre une performance grandiose qui met en valeur non seulement son talent d’acteur mais aussi de musicien. Il s’approprie la bouleversante trame sonore conçue par Jenny Saldago. Même s’il tient la pièce sur ses épaules, il ne laisse transparaître aucune nervosité. Il nous entraîne aisément dans une réalité malheureusement encore trop ignorée et jugée de nos jours. Entre 2005 et 2021, il y a des choses qui n’ont tristement aucunement changé. Mais l’important c’est qu’on continue d’en parler librement à travers la fiction. Surtout quand c’est aussi bien monté que ce King Dave.

Crédits Photos : Danny Taillon