Près de 35 ans après sa création, Le vrai monde? de Michel Tremblay constitue la première pièce à être présentée au Théâtre du Rideau Vert depuis la réouverture des théâtres. Afin de respecter la conformité des mesures sanitaires, l’assistance est composée de 76 personnes seulement et les représentations ont lieu à 15h00, 16h00 ou 17h30. Comme le nombre de places est très limité, toutes les dates jusqu’au 6 juin affichent déjà complet, mais vous pouvez tout de même rester à l’affût au cas où des annulations surgiraient. La pièce sera également disponible en ligne vers la fin du mois de mai.
Au-delà du fait qu’il fait tellement bon de s’asseoir dans une salle et se faire raconter une histoire en chair et en os, la pièce met de l’avant des sujets de discussion tristement encore actuels comme les dénonciations de inconduites sexuelles qui vont susciter de vives réactions chez les spectateurs, qu’ils aient personnellement vécu les enjeux qui infligent les personnages ou pas.
Claude (Charles-Alexandre Dubé), un aspirant dramaturge, décide enfin de faire lire à sa mère (Madeleine 1, Isabelle Drainville) pour la première fois un de ses projets : une pièce qu’il va monter avec une troupe amateure. Le seul hic, c’est que les personnages de l’œuvre portent les noms des membre de sa famille et Claude en profite pour régler ses comptes avec des drames qui sont survenus, événements que nie Madeleine. Pour confondre encore plus le public sur la véracité des faits reprochés, les personnages de la pièce prennent vie et récitent les mots de Claude.
Voguant dans les confidences des vrais et des faux personnages, le spectateur plonge lentement mais sûrement dans un état de doute, questionnant tout ce qu’il entend et voit. C’est exactement pourquoi le ? dans le titre est d’une grande importance. Qu’est-ce qui est vrai? Qu’est-ce qui faux? Ça veut dire quoi au juste d’être dans le vrai monde? Se taire? Est-ce que la fiction permet la libération?
Justement, la pièce englobe également une réflexion pertinente sur le rôle de la fiction. Peut-on réellement tout dire dans une création? Jusqu’où un artiste peut s’inspirer de la vie des autres qui ne veulent pas nécessairement exposer leur réalité à de purs étrangers? Après tout, Claude est le seul personnage à ne pas avoir d’alter ego. Il se vide le cœur, voire il se venge de son passé, de son père qui est une figure d’autorité à la morale déficiente, mais à travers la voix des autres. Il ne se mouille pas. Est-ce acceptable que la fiction soit un refuge contre une réalité qu’on a de la difficulté à accepter? Impossible de savoir ce que Claude va ultimement prendre comme décision dans la réalité, et c’est exactement cela qui rend la pièce si engageante et déchirante.
La scénographie incarne bien la confusion entre la réalité et la fiction, surtout lors du dernier acte lorsque les fondations du décor dévoilent une autre facette de la maison typique d’une famille québécoise dans les années 60. Le décor volontairement sans âme devient presque une présence rassurante pour les spectateurs à mesure que les protagonistes déversent leur fiel. Même si c’est l’intention de la pièce de confondre le public, la distinction entre les doubles se fait de manière fluide, spécialement grâce à des détails dans les costumes qui permettent d’établir des connexions aisément.
Pour sa première mise en scène depuis 1996, le comédien Henri Chassé démontre qu’il est en mesure d’aller chercher le meilleur de sa distribution et d’exploiter judicieusement l’espace. Que ce soit lors de la poignante livraison d’un monologue ou simplement en étant immobiles sur scène à regarder les révélations se déployer, les acteurs brillent du début à la fin de leur présence, aussi petite soit-elle. Chaque comédien tire son épingle du jeu, mais les performances intenses et débordantes de vérité de Michel Charette et Isabelle Drainville retiennent particulièrement l’attention.
Pour plus de détails sur la pièce, veuillez consulter LE SITE OFFICIEL DU TRV.
Crédits Photos : François Laplante Delagrave