Même 40 ans après sa création, l’étoile de Starmania continue de scintiller très fort dans le paysage artistique québécois. Habité par cet opéra rock imaginé par Michel Berger et Luc Plamondon depuis qu’il a l’âge de cinq ans, Pierre Doré, directeur artistique et fondateur de Québec Issime, a enfin l’occasion de lui rendre un tendre et inspiré hommage. Présenté jusqu’au 18 août à la Place Nikitotek, un charmant théâtre à toit couvert situé dans le centre-ville de Sherbrooke, le spectacle Québec Issime chante Starmania séduit autant les initiés à l’oeuvre que les néophytes grâce à un décor numérique impressionnant, des costumes modernisés et des performances vocales tout simplement ahurissantes.
Évidemment, l’histoire de Starmania demeure inchangée. Sherbrooke se transforme en Monopolis, cette ville qui aspire si désespéramment à la modernité et à la gloire instantanée avec ses nombreux gratte-ciel et l’émission de télévision Starmania animée par la pétillante Cristal (Krystel Mongeau). Le riche homme d’affaires malheureux Zéro Janvier (Pierre Doré), accompagné de l’actrice en fin de carrière Stella Spotlight (Sylvie Tremblay), se lance en politique pour freiner les attaques violentes du groupe extrémiste Les étoiles noires mené par Johnny Rockfort (Redgee) et Sadia (Rosa Laricchiuta). Ces derniers préparent leurs attentats dans le café souterrain l’Underground Café dans lequel la jeune serveuse désorientée Marie-Jeanne (Marie-Ève Riverin) pleure son amour impossible envers le flamboyant Ziggy (Michaël) qui ne souhaite qu’une seule chose : être un chanteur.
Afin de reproduire l’aspect spectaculaire qu’impose la légendaire pièce, la production n’a pas lésiné sur les volets visuels et techniques. La musicalité des compositions est enrichie par un vibrant ensemble de cuivre et de cordes qui se mêle parfaitement à des percussions puissantes. Sur trois écrans géants qui entourent la scène sont diffusées des images concoctées par l’artiste visuelle Kristine Girard et le studio Hub Studio qui permettent aux spectateurs de bien percevoir les plus subtils détails des intrigues qui se perdent parfois dans les paroles chargées d’informations. Les dessins des édifices créent réellement une sensation de vertige qui se marie brillamment à celui qui tourmente les protagonistes. La mise en scène du spectacle, également signée Pierre Doré, fait la belle part aux musiciens et à leurs instruments dont un splendide piano blanc mis en vedette. Les mouvements des comédiens sont fluides, précis et captivants. Ils se servent adéquatement des différents objets mis à leur disposition. Un rideau d’eau et une fine tempête de neige en mettent aussi plein la vue.
D’ailleurs, les acteurs sont pratiquement toujours sur la scène, soit dans leur rôle ou personnifiant un habitant de Monopolis. Le fait que tous les artistes occupent également la fonction de choriste renforce la portée des chansons et l’impression d’être partie prenante de cet univers futuriste emprisonné dans des valeurs archaïques. Dans Starmania, les interactions entre les personnages sont incluses dans les pièces, ce qui s’avère fort rafraîchissant et entraînant. Cela permet aux chanteurs de transmettre les intrigues et les sentiments de la façon qu’ils maîtrisent le mieux : en chantant. Pas de dialogues plaqués qui semblent faux, que des émotions vraies. Cela donne aussi l’occasion aux spectateurs de s’attarder sur les textes, les importantes thématiques qu’ils renferment et l’immense talent de Plamondon pour offrir une poésie imagée, recherchée et riche qui suscite en nous admiration et introspection. Starmania conserve son intemporalité en explorant avec vérité et sans morale l’homosexualité, la célébrité, le pouvoir de l’argent, la détresse psychologique et la violence humaine.
Au-delà de leurs prouesses vocales, tous incarnent les personnages cultes avec aplomb et sincérité. Avec sa solide et séduisante voix rauque, Rosa Laricchiuta rappelle incontestablement Nanette Workman qui a jadis incarné le rôle de Sadia. Sa prononciation en français s’est nettement améliorée et elle transmet toute l’intensité derrière les paroles. Idem chez Redgee, qu’on a récemment pu découvrir à La Voix dans l’équipe de Lara Fabian. Possédant un registre vocal qui passe aisément du grave à l’aigu en une fraction de seconde, il a offert une version totalement maîtrisée et déchirante de S.O.S d’un terrien en détresse.
Interprétant Ziggy, Michaël a affiché une énergie contagieuse qui touchait tout en donnant le sourire. Il a capté avec brio la naïveté et la passion artistique de ce personnage fort attachant, laissant aller au passage des notes d’une justesse incroyable. La Marie-Jeanne de Marie-Ève Riverin était sympathique, parfois un peu trop. La peine et le désespoir de la serveuse n’étaient pas toujours palpables. Par contre, l’interprète a réussi à impressionner sur Le monde est stone en guise de conclusion. Krystel Mongeau a efficacement joué la belle fille à qui tout sourit mais qui aspire à plus. Elle a souvent donné des frissons avec sa technique irréprochable. Armée d’une voix ayant la résonance de celles de Patsy Gallant et Diane Dufresne, la sherbrookoise Sylvie Tremblay a saisi autant par son talent vocal que par ses mimiques savamment calculées qui traduisaient toute la déchéance de Stella Spotlight. À ses côtés, Pierre Doré a offert un convaincant Zéro Janvier. Il était particulièrement touchant de le voir s’amuser et réaliser son rêve de jeunesse.
Enfin, Québec Issime chante Starmania s’avère un excellent et divertissant moyen de tomber sous le charme de talents immensément prometteurs et saisissants, mais aussi de découvrir ou redécouvrir une oeuvre tristement actuelle qui n’a pas perdu son mordant et sa pertinence.
Crédits Photos : Stéphanie Payez/Éklectik Média