Tous les films du cinéaste Denis Côté ont été lancés dans des festivals cinématographiques majeurs, et Répertoire des villes disparues, sa onzième et plus récente oeuvre, ne fait pas exception. Après un passage remarqué à la Berlinale il y a quelques semaines et un défilé de critiques élogieuses tant ici qu’à l’étranger , le constat est clair : l’adaptation libre du roman du même nom de Laurence Olivier insuffle à la xénophobie et au snobisme face aux régions éloignées une délicieuse poésie lugubre dont on avait étonnamment besoin.
Ayant pour point de départ la peur de l’autre, Côté braque ingénieusement ses percutants angles de caméra dans la ville fictive d’Irénée-les-Neiges où les 215 habitants qui y vivent pleurent la perte de Simon Dubé à la suite d’un nébuleux accident de voiture. Cette mort, qui a toutes les apparences d’un suicide déguisé, entraîne l’apparition encore plus mystérieuse de silhouettes supposément décédées qui, contrairement à des zombies, ne tuent pas leurs comparses mais les observent passivement avec une attitude presque tendre. Tous les villageois, de la mairesse dans le déni (Diane Lavallée) au sympathique vieux couple (Jocelyne Zucco et Normand Carrière) en passant par la serveuse en crise existentielle (Rachel Graton), réagissent différemment au phénomène.
De par sa totale fluidité entre les dialogues décapants, le ton lent et l’esthétique sinistre, ce film à saveur chorale s’avère sans contredit le plus accessible à un large public du répertoire éclectique de Denis Côté. L’une des affiches promotionnelles du film s’amuse à questionner les spectateurs sur sa véritable identité : un film d’auteur, un film d’horreur, un film de genre ou de festivals (?). En ne cherchant aucunement à l’être, il devient un heureux mélange de toutes ces catégories en plus de ne pas flancher pour les stéréotypes de région. Aucun cinéphile n’interprétera le long-métrage de la même façon.
Ses métaphores aux images aussi limpides que floues renvoient directement à l’actualité sans une once de sensationnalisme. On se laisse happer par la poésie des thématiques en oubliant presque leur lourdeur. L’introspection à laquelle nous convie les artisans se déroule tout en douceur malgré le caractère d’abord hermétique de la photographie. Les paysages hivernaux aussi froids et chagrinés que la fascinante galerie de personnages qui y gravite se fraient un chemin profondément en nous, nous parcourant de frissons tangibles. Pour humaniser les protagonistes dans une vérité désarmante par sa simplicité , Denis Côté a trouvé le parfait équilibre entre drame et humour sans jamais qu’un ou l’autre n’apparaisse burlesque.
Ces jouissifs moments de pures émotions sont amplifiés par les savoureux contre-emplois qui pleuvent dans la distribution, à commencer par Diane Lavallée dans le rôle de Simone Smallwood, la mairesse alcoolique faussement en contrôle d’un village délaissé. Son amertume, sa solidarité et son désespoir sont palpables à chacune des scènes. En parents endeuillés complètement désorientés, Jean-Michel Anctil et Josée Deschênes ne manquent pas de justesse. Mandatés pour jouer les bouffons de service alors qu’ils sont davantage confinés dans des partitions sérieuses, Jocelyne Zucco et Normand Carrière s’approprient brillamment l’amour touchant et naïf d’un duo qui se connait sous toutes les coutures. Dans la peau de l’attachante et fragile Adele, Larissa Corriveau livre une performance de haute voltige dénuée des clichés liés à ce genre de rôle. La comédienne marque par son bouleversant regard fuyant et lumineux.
Répertoire des villes disparues est encore à l’affiche à Montréal, en Estrie et à Québec.
Crédits Photos : Lou Scamble