La société des poètes disparus : le Théâtre Denise-Pelletier accueille un chef-d’oeuvre!

Hier soir, 20h, au Théâtre Denise-Pelletier se tenait la première de la pièce La société des poètes disparus. Traduite avec brio par Maryse Warda et habilement mise en scène par Sébastien David, ce classique, adapté du long-métrage du même nom réalisé par Tom Schulman, était un vrai petit bijou pour l’âme… Dans tous les sens.

Bien qu’il explique dans le mot du metteur en scène se retrouvant à l’intérieur du programme — très complet, d’ailleurs — de la pièce, qu’à l’exception de « quelques clins d’œil pour les nostalgiques », le spectateur ne reverra pas le film lors de cette soirée, mais revisitera plutôt son récit, David a tout de même su rester, à mon humble avis, d’une fidélité irréprochable vis-à-vis l’oeuvre cinématographique et on ne peut que l’en remercier!

Tout y est : une distribution d’acteurs fabuleux qui incarnent leur personnage dans une passion renouvelée de par l’adaptation qui en est faite, une sensibilité palpable et déboussolante, un décor épuré enchaînant aisément les scènes le tout coule dans une quasi perfection comme une eau limpide, pure, délectable.


Crédits photo : ©Gunther Gamper

La scène compte parmi ses rangs Mustapha Aramis (Richard Cameron), Maxime Genois (Charlie Dalton), Simon Landry-Désy (Todd Anderson), Étienne Lou (Steven Meeks), Anglesh Major (Knox Overstreet) et Émile Schneider (Neil Perry), qui, s’appropriant tous de belle façon leurs rôles d’étudiants du Collège Welton dans la personnalité singulière, tendre et unique de leur personnage respectif, forment une magnifique symbiose, une fraternité que nous nous plairions à regarder des jours durant. Jean-François Casabonne (Paul Nolan) incarne quant à lui brillamment l’affligeant et l’austère directeur, celui dont les nombreuses crises d’égo, la personnalité bien-pensante et la fermeture d’esprit dictent les gestes méprisants et les pensées d’une étroitesse déconcertante. Gérald Gagnon campait pour sa part le rôle de l’implacablement inébranlable figure paternelle de Neil, monsieur Perry, lequel nous aimerions secouer si fort pour qu’il comprenne enfin le grand désir, les aspirations et la nature profonde de son fils afin d’éviter ce qui devient l’inévitable et qui nous laisse choqués, bouleversés. Patrice Dubois (Monsieur Keating) qui, indissociablement, rend son rôle de professeur tordu et attachant incroyablement touchant dès ses premiers échos sur les planches, celui qui devient l’heureux modèle à suivre, le « Capitaine ô capitaine » des plus solides, qui, leur semblent-ils [les élèves], ne peut être dérouté de sa trajectoire malgré sa grande vulnérabilité d’artiste refoulé. Puis, aux trois-quarts de la pièce arrive en scène Alice Moreault dont l’interprétation, quoique de courte durée, est teintée d’une coquetterie marquante, toute à son avantage, dans l’interprétation de la désirable et convoitée Christine, la prétendante cible de Knox qui, pour cette raison, devient la proie des nombreuses taquineries de ses camarades.

Crédits photo : ©Gunther Gamper

De notre siège, ce que nous remarquons, c’est le plaisir indéniable qu’a chacun des acteurs à se produire devant son public, c’est l’aisance et la maîtrise d’un texte riche, complexe, c’est l’impressionnant exploit que représente le fait de jouer pendant 1h45, sans entracte, et de soutenir le même niveau de jeu, voire de le rendre de plus en plus puissant à chacune des répliques. C’est également un décor simple muni d’une grande estrade d’escaliers qui devient, agrémentée que de quelques accessoires seulement, témoin de toute l’action et de tous les lieux : au début de la pièce, la chapelle, où se déroule la cérémonie des finissants et l’accueil des nouveaux étudiants de première année, vacille ensuite entre le dortoir des garçons, lieu de folies, de complots d’adolescents et de permissions coupables comme celles de déformer les quatre valeurs du collège (Discipline/décadence, Excellence/excréments, Honneur/horreur, Tradition/travesti) ou de danser sur Jailhouse Rock d’Elvis Presley et les classes de monsieur Keating… La scène devient aussi tantôt, entre de judicieuses et nostalgiques transitions réglées au quart de tour, la grotte, refuge secret des poètes disparus; le théâtre où se compromet Neil face à son père; la cuisine des Perry; la chambre de Neil dans laquelle il commet l’irréparable qui nous décroche plusieurs larmes et nous noue la gorge; pour redevenir dortoir, puis salle de classe, morne, profondément triste et vidée de tout son sens sans la présence de son Capitaine. Le navire semble troué, à présent. Il coule, doucement, mais non sans une poignante solidarité et un hommage témoignant de la Grandeur de Keating et de l’affection que lui portaient ses étudiants.


Crédits photo : ©Gunther Gamper

Malgré l’époque à laquelle il se déroule, ce récit est encore trop actuel et c’est ce qui émeut par-dessus tout. C’est ce qui nous envoie un lot de nostalgie droit au cœur : nous avons tous un jour connu un professeur marquant, celui qui, par de simples mots et par de petits et grands encouragements, par son enseignement coloré, a probablement changé le cours de notre histoire sans même le savoir. D’autre part, le paternel de Neil paraît dur, certes, l’est-il. Il est surtout encore bien présent au sein de nombreuses familles dont les membres ne demandent au fond qu’à s’émanciper, s’épanouir, s’accomplir. Nous avons le choix de continuer de croire que le suicide de Neil ne découle que d’une triste fiction, mais sa douleur est bien réelle. Elle est la douleur d’un monde tout entier, souffrant, car il fait mal de se chercher sans jamais pouvoir se réaliser. Cette pièce est un hymne à la liberté d’expression et de pensées, elle est un délicieux hommage à la beauté de l’être — passant ou non par la création — et du respect personnel et collectif.

Présentée jusqu’au 13 avril 2019, La société des poètes disparus est un cadeau à s’offrir, tant elle nous tatoue le cœur de sa beauté.

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