Lorsque Disney annonce des films en prises de vues réelles imaginant les origines d’un vilain adulé (Maléfique et Maléfique : maîtresse du mal , par exemple) ou en reprenant un classique d’enfance (Aladdin, Le Roi Lion et bien d’autres), c’est immanquable, deux clans se forment : les nostalgiques qui meurent d’impatience de découvrir de nouvelles histoires de leurs personnages préférées et les puristes qui n’apprécient guère qu’on ternisse l’empreinte laissée par les œuvres originales. Étonnamment, le Cruella de Craig Gillespie (Moi, Tonya, la série Physcial diffusée sur Apple TV dès le 18 juin), à l’affiche depuis le 28 mai et disponible sur l’accès Premium de Disney+ au coût supplémentaire de 34,99$, réussit à rallier les deux clans grâce à un scénario cohérent, une facture visuelle sombre audacieuse pour un film de la fabrique Disney, des performances ahurissantes et des costumes saisissants qui font rêver.
La Cruella animée qu’on a connue avec Les 101 dalmatiens puise sa cruauté dans son désir malsain d’assassiner les chiots picotés afin de s’en faire un sublime manteau qui fera l’envie du monde de la haute couture londonienne. C’était en 1961. Soixante ans plus tard, en 2021, il est impensable que le mal se déploie au détriment d’innocents animaux. La folie prodigieuse mais dangereuse du personnage est donc de nature psychologique…et innée. C’est particulièrement cet élément qui fait que Cruella se distingue des autres longs-métrages du même genre du célèbre studio. Dans ce cas-ci, ce n’est pas un événement traumatisant et une blessure vive qui justifient entièrement la méchanceté. La fashionista est née comme ça.
C’est ce que nous permet de comprendre le premier acte du film qui nous présente la naissance d’Estella (Emma Stone) qui, avec son style vestimentaire extravagant, son côté rebelle et sa mythique chevelure blanche et noire, est rapidement considérée comme une marginale qu’il faut dompter. Et, par amour pour sa mère, elle tente effectivement de rentrer dans le moule. Mais chasser le naturel, il revient au galop. Surtout quand son rêve ultime, celui de devenir la designer la plus populaire dans le Londres des années 70, la pousse à être la prometteuse stagiaire de La Baronesse von Hellman (Emma Thompson), figure emblématique et intransigeante de la mode chic qui est prête à tout pour conserver son titre. Hélas, elle ne sera pas au bout de ses peines…
Le cœur du film réside dans la guerre que se déclarent les deux fashionistas, incarnées par deux Emma au sommet de leur art et possédant une chimie étincelante. Emma Stone a construit une Cruella diabolique, certes, mais pas unidimensionnelle. Sans excuser ses débordements à la morale douteuse, on se prend d’affection pour elle. Dans la même scène, elle peut nous faire frissonner d’horreur avec son regard foudroyant et nous faire rire aux éclats deux secondes plus tard avec une ligne cinglante. De son côté, la toujours brillante Emma Thompson jongle bien avec les caractéristiques stéréotypés et le cynisme de son personnage, trouvant toujours le ton juste dans la voix et les yeux pour faire capter à la perfection le second degré des atrocités qu’elle régurgite d’une voix grave et monotone démontrant comment son richissime pouvoir la déshumanise.
Ce mélange de drame et d’humour dans le scénario de Dana Fox (N’est-ce pas romantique?) et Tony McNamara (La favorite) permet aux spectateurs de ne pas voir le temps passer. Les 134 minutes du film passent à la vitesse de l’éclair. La trame narrative peut paraître convenue par moments, mais elle contient des revirements qui s’avèrent assez captivants et efficaces pour excuser certaines faiblesses. L’ajout du flamboyant personnage d’Artie (John McCrea), qui aide Estella à concevoir sa marque et ses mises en scène spectaculaires, et le développement de Jasper (Joel Fry) et Horace (Paul Walter Hauser), les cambrioleurs pas aussi niais que leurs versions animées, s’avèrent également de belles surprises. Les nostalgiques seront également contents de déceler des références aux œuvres précédentes, notamment dans la scène où Cruella conduit avec furie alors que Jasper et Horace ne comprennent absolument rien à la situation.
Même si le film demeure accessible, les jeunes enfants risquent de moins compatir à la quête de vengeance de Cruella et être effrayés par la splendide direction artistique dépeignant avec brio la montée punk et le sentiment de liberté véhiculés dans les années 70. Les 96 décors et les 40 000 accessoires qui les subliment sont d’une beauté renversante et d’un réalisme troublant. À cet effet, le film se vaut d’être vu en salle pour apprécier pleinement toute sa splendeur et grandiloquence.
La trame sonore vintage, qui passe de Supertramp à Nancy Sinatra , est également utilisée à bon escient et crée un beau rythme dans certaines scènes. Il faut aussi souligner l’excellente et accrocheuse – bien que trop courte- chanson thème créée par la formation britannique Florence+The Machine, Call me Cruella, qui ouvre le générique avec un montage visuel sensationnel. À ce propos, restez quelques minutes après la fin du film dans la salle de cinéma ou dans votre salon pour savourer un adorable clin d’œil…
La dynamique entre la débutante naïve et la patronne glaciale fait évidemment penser au film culte Le diable s’habille en Prada, mais les deux œuvres ont une manière très différente de présenter le milieu de la mode. Cruella met beaucoup plus l’accent sur le processus créatif et l’excentricité des costumes. Assistée de Tom Davies pour les créations des masques et d’une formidable équipe à la coiffure et au maquillage, la costumière lauréate aux Oscars Jenny Beavan (Mad Max : la route du chaos) a réussi l’exploit de créer 277 costumes qui deviennent des personnages en soi. Même si Cruella et La Baronne s’inspirent l’une de l’autre pour se détruire, il est facile de faire la distinction entre les univers des deux personnages. Grâce à un mélange original d’élégance et de rébellion, tous les looks de Cruella créent la stupéfaction, notamment la robe comprenant 393 mètres de tissus recyclés, qui est d’ailleurs la préférée d’Emma Stone dans le film. Voici d’ailleurs un montage des looks les plus marquants du film.
Bref, malgré de grandes attentes, Cruella livre la marchandise en étant un divertissement splendide et drôle qui n’édulcore pas sa méchanceté pour plaire à un large public, ce qui laisse présager que du bon pour les prochains films en prises de vues réelles de Disney. Et pourquoi pas une suite de Cruella avec la même équipe? Elle n’a pas fini de dévoiler tout son potentiel créatif…
Crédits Photos : Walt Disney Pictures Canada