Insomniaque dans sa jeunesse, Mireille violait l’intimité des maisons silencieuses dans la nuit pour regarder les corps endormis de ses voisins, comme des morts, sur lesquels elle projetait tous ses fantasmes et ses désirs. Cachée secrètement dans l’ombre, sans bruit, elle épiait les moindres mouvements qui animaient ces masses de chair étendues dans leur lit.
Puis, tout a brutalement changé la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Le destin de la jeune Mireille et celui de sa famille a basculé tragiquement. Un terrible secret se transformait dans un autre secret, plus terrible encore…
Trente ans après le drame de la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, Mireille ,devenue une grande thanatopractrice de renommée internationale, revient de son long exil dans son Alma natal pour préparer le corps de sa défunte mère. La salle d’embaumement devient le lieu d’une réunion familiale dans laquelle se retrouve, bien vivants, les trois frères de Mireille et sa belle-sœur. Se confrontent alors les secrets de famille, endormis depuis tout ce temps… Pourquoi leur mère a-t-elle tout légué à Laurier Gaudreault?
Julie Le Breton se fait excessivement convaincante dans le rôle de celle qui semble avoir toujours voulu ranimer ceux qu’elle voyait morts. Sans raccourcis caricaturaux, elle se transpose magistralement dans un personnage aux prises avec une folie clandestine qui n’a d’égal que la lourdeur du secret qu’elle porte depuis trente ans. Est traduite sur scène et dans le corps de l’interprète toute la rigidité cadavérique qui habite l’esprit de Mireille, rigidité s’opposant à l’excitation débordante et suintante qui se cache derrière, et qui apparait par à-coups.
Le reste de la distribution, adéquatement choisie et dirigée, peut parfois faire pâle figure aux côtés du personnage de Mireille. Magalie Lépine–Blondeau (Chantal) se démarque cependant dans son rôle de belle-sœur, excellant dans le ton humoristiquo-naïf auquel s’emploie son rôle. Mathieu Richard (Eliot) , qui joue le jeune frère un peu niais, sait se rendre attachant, mais mitraille quelque fois les répliques, ce qui, malheureusement, fait tomber à plat les nombreux gags de son personnage. Patrick Hivon (Julien) interprète le côté plus politico-engagé du texte et réussit à mener son personnage colérique de façon juste, sans en mettre trop. Finalement, Éric Bruneau (Denis) prête ses traits au frère le plus batailleur des trois, celui qui confronte la vérité et pose les questions qui brûlent le public.
Le texte permet de retrouver les thèmes classiques de la dramaturgie de Michel Marc Bouchard. La vérité, le mensonge, comme il le mentionne lui-même dans le programme, mais aussi, le secret, la réunion familiale, l’absence de la mère, le retour après l’exil, l’impitoyable regard des autres, etc. Comportant certaines longueurs, dont une première partie qui s’étire, le texte prend finalement ses aires d’aller quand Denis fait son entrée et vient réveiller ce qui, jusqu’alors, était encore endormi: c’est le retour du traumatisme Laurier Gaudreault. Retenons en points positifs de cette nouvelle création de Bouchard une métaphore bien ficelée, celle de l’embaumement qui se veut une réparation du mal qui a été fait, et une intrigue intéressante qui se dénoue naturellement et de façon fluide.
D’un autre côté, malgré l’intérêt que peut susciter un personnage comme celui de Mireille Larouche, le texte se fait plutôt muet sur les motivations profondes qui auraient pu mener la jeune fille à se glisser dans ces maisons pour observer les corps dormants de ses voisins. Si, au départ, l’explication traumatique permet de comprendre sa conduite, le secret révélé vient bafouer quelque peu cette compréhension et laisse un vide inexpliqué.
Du côté de la mise en scène, Serge Denoncourt semble avoir misé beaucoup sur son actrice principale, ce qui représente un pari gagné. La présentation du corps de la mère morte, nue sur la table d’embaumement, au centre de la scène, assure le malaise et marque l’imaginaire. Les doubles tabous de la mort et de la nudité sont levés du même coup lorsque Mireille retire le drap qui la recouvre. Laurier Gaudreault – celui dont on parle tout du long la pièce, mais qui en est le grand absent – apparaissant, anonyme, en habit de motoneige et casqué, marque aussi une image forte du spectacle.
La scénographie assurée par Guillaume Lord est absolument réussie et la salle d’embaumement est réaliste à souhait. Le diable est dans les détails, dit-on, et ici, le détail est bien peaufiné, ou plutôt, embaumé! Il y règne une ambiance froide comme la mort.
Crédits Photos : Yves Renaud