Ấm est la pièce-événement qui inaugure la saison automnale du Théâtre du Nouveau Monde. Kim Thúy y signe une première pièce intimiste à saveur autobiographique. C’est l’occasion d’explorer ses thèmes de prédilection : le déracinement, l’amour ou encore la famille.
Sur scène, la rencontre entre Ánh et Jacques prend la forme d’un choc interculturel. L’une a fui le Viêtnam, chassée par la guerre, l’autre a toujours vécu un quotidien privilégié au Québec. Un coup de foudre va pourtant les lier, malgré leur parcours différent. Noé complète leur trio, enfant autiste qui appréhende le monde par la danse.

Une pièce contemplative
Ấm se déploie comme de la dentelle, aussi fine que fragile, à commencer par une distribution à fleur de peau. Cynthia Wu-Maheux (Ánh) livre une performance d’une belle vulnérabilité. La voix de la comédienne résonne d’une chaleur apaisante. On a même parfois l’impression qu’elle déclame son texte tant son timbre est feutré, enveloppant. Ce choix n’est pas anodin, cette lenteur plaçant le spectateur dans une sorte d’apesanteur. Voilà pourquoi la pièce joue aussi sur les silences, renforçant son aspect contemplatif.
À l’inverse, Jean-Philippe Perras (Jacques) a une présence plus ancrée dans la rationalité. L’intérêt de son interprétation repose dans la variation de son jeu. Le comédien épouse avec justesse les nuances de son personnage dont la vision cartésienne évolue progressivement vers une approche plus intuitive.
Cette dimension s’incarne d’ailleurs dans la prestation de Jimmy Trieu Phong Chung (Noé). L’artiste de danse contemporaine donne vie à un jeune autiste non verbal dans un rôle tout en mouvement. La pièce nous offre en cela sa plus grande leçon d’humanité. Elle nous rappelle que le langage du corps est aussi important que celui de la parole. Que les gestes ont une charge émotive aussi puissante que les mots.

Ấm ou l’art du subtil
L’apparente simplicité de Ấm cache une subtile profondeur. C’est un mille-feuille aux diverses couches. S’y superposent le passé traumatique de Ánh, le présent ordonné de Jacques ou encore le monde intérieur de Noé. Au-delà de leurs strates distinctes, les protagonistes sont sur la même fréquence émotionnelle.
La structure éclatée de la pièce prend ici tout son sens. La mise en scène de Loraine Pintal préférant miser sur l’évocation plutôt que de s’ancrer dans un lieu précis. Le public peut alors y ajouter ses propres couleurs, suivant ses références personnelles. Dans ce décor dépouillé, la présence de l’eau devient un élément essentiel pour plonger au cœur des personnages. Quant aux projections vidéo, elles apportent un lyrisme onirique à l’ensemble.
En 90 minutes, Ấm propose une expérience sensorielle qui invite à ressentir plutôt qu’à comprendre. La pièce nous ouvre à un horizon sensible où la poésie narrative s’éloigne d’une représentation théâtrale traditionnelle. En s’abandonnant à cette proposition non linéaire, on accède à un territoire du tendre dont la dimension affective est un baume pour l’âme.
Texte de Kim Thúy
Mise en scène Lorraine Pintal
Avec Jean-Philippe Perras, Jimmy Trieu Phong Chung et Cynthia Wu-Maheux
