Chantées partout à travers le monde, les chansons de Jacques Brel, le plus intemporel des Belges, deviennent encore plus grandioses lorsque jouées par un orchestre symphonique. Il ne s’agit pas d’une proposition des plus originales ou surprenantes, mais puisque Brel conserve encore aujourd’hui toute sa pertinence, le concept demeure enchanteur et bouleversant. Pour une trente-cinquième fois, le spectacle Brel Symphonique a été présenté samedi soir dernier à la Maison Symphonique de Montréal dans le cadre des Francos de Montréal. Ce spectacle qui devait, à la base, n’être qu’une histoire d’un soir, a continué d’éblouir et toucher le public.
Dirigé avec brio par Simon Leclerc, l’Orchestre Symphonique de Montréal est parvenu à garder l’essence de la musicalité classique de Brel tout en lui insufflant des arrangements un peu plus modernes et prononcés. Les violons étaient tout particulièrement sublimes. Mis en scène sobrement par Luc De Larochellière, Brel symphonique préfère revisiter les pièces avec les personnalités propres des interprètes plutôt que de chercher à imiter l’incomparable monument de la chanson. Se présentant chacun leur tour sur la scène pour performer deux pièces, une extrêmement connue et une autre un peu moins, les dix interprètes, cinq femmes et cinq hommes, ont offert des prestations empreintes de vérité, de vulnérabilité et de reconnaissance.
Le tout a débuté avec Bia qui s’est attaqué à J’arrive et Amsterdam avec classe et joie, mais il manquait une pointe d’intensité. Sans nécessairement s’attendre à une énième reprise criée, certaines pièces du grand Jacques méritent davantage que la retenue pour bien souligner toutes les émotions contenues dans les textes. À la recherche d’une connexion spirituelle avec Jacques Brel, Pierre Flynn l’a trouvée avec la pièce à la fois poétique et drôle La Bière. Élégamment vêtu, il a d’abord interprété la touchante Le plat pays. Séparée de son indémodable piano, Catherine Major, qui a enchainé les spectacles hommages la semaine dernière, a embarqué dans les univers de Au suivant et Ne me quittes pas avec sobriété et authenticité. Sans ne jamais pousser sa voix pour tenter d’épater la galerie, elle est restée fidèle à son style, et l’émotion est apparue.
Danielle Oddera a reçu la première ovation de la soirée. Le public, jusqu’alors fort timide, a accueilli comme il se doit la voix puissante chargée de vécu de celle qui a eu la chance de côtoyer Jacques Brel. À la demande de De Larochellière, elle a lu la dernière lettre que Brel a écrite à sa sœur Pierrette qui était la propriétaire d’un bar qu’il aimait beaucoup fréquenter lors de ses nombreuses visites au Québec. Un moment unique et inoubliable. Danielle Oddera a sidéré avec Fils de, mais a carrément couper le souffle de tous avec La valse à mille temps qui, justement, en demande beaucoup! De son propre aveu, il est difficile de passer après une aussi grosse pointure, mais Luc De Larochellière s’en est sorti avec brio en offrant Un enfant, popularisée par Petula Clark, et Mathilde, magnifique chanson sur une relation quelque peu toxique impossible de contourner. Pour clore la première partie, Bruno Pelletier a, encore une fois, offert un moment d’éternité avec Quand maman reviendra et l’extraordinaire La chanson des vieux amants, l’ultime ode à la longévité amoureuse et tous les hauts et les bas que cela comporte.
Paul Piché a ouvert le second acte avec Jaures et Le moribond. Sa reconnaissance envers Brel transpirait dans chacune de ses notes. En remplacement de Marie-Élaine Thibert, Andrea Lindsay a honorablement repris la sacrée Quand on a que l’amour. Elle a ensuite offert Remparts de Varsovie. Cette performance a encore plus séduit que la première, alors qu’elle représentait davantage un défi de prononciation pour l’interprète qui n’a pas le français comme langue maternelle. Avec sa sensibilité et sa simplicité qui ont fait sa renommée, Diane Tell a incarné avec justesse le désespoir et la détresse contenues dans Voir un ami pleurer et Jeff. Grâce à la polyvalence de sa voix, Marc Hervieux, a, quant à lui, chanté Les bonbons avec une délicate touche d’humour et de naïveté avant d’atteindre somptueusement l’inaccessible étoile de La Quête. Le public s’est levé une fois de plus.
Le concert s’est terminé avec la livraison de Les cœurs tendres par la gente féminine qui s’opposait à leurs comparses masculins qui, eux, ont entonné avec fougue Les Bourgeois. Cette divertissante finale a montré que les duos et numéros de groupe fonctionnent à merveille lors de spectacles rendant hommage à un artiste, et qu’on devrait davantage oser l’expérience tout au long de l’œuvre, et pas seulement à la toute fin.
Crédits Photos : Victor Diaz Lamich